Homélie du fr. Luc Devillers OP pour la fête du Christ Roi, dimanche 26 novembre 2023 – Boscodon
Une année sur trois, c’est avec cette grande fresque de l’évangile selon saint Matthieu que nous clôturons l’année liturgique : la péricope du « Jugement dernier ». La scène décrite par Jésus met en valeur le Fils de l’homme, vite présenté comme un roi : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, […] alors il siégera sur son trône de gloire. […] Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : ‘Venez, les bénis de mon Père…’ » Les pièces du puzzle se mettent en place, et ainsi apparaît sous nos yeux le portrait de Jésus. Car le Fils de l’homme, c’est bien lui : il se présente souvent ainsi dans les évangiles, sans pourtant jamais dire « je suis le Fils de l’homme ». Et le roi de la fresque, c’est toujours lui, puisqu’il appelle les élus « les bénis de mon Père » : il est donc le Fils de Dieu.
Jésus était un fabuleux conteur, qui privilégiait les paraboles, ou parfois une fresque comme ce matin, pour se faire comprendre même des plus petits, même des enfants. Car le salut est offert à tous les humains, et cela concerne le but de notre vie sur terre : recevoir en plénitude la vie qui vient du Dieu vivant. Dans la continuité des prophètes d’Israël, Jésus a voulu renouveler la foi d’Israël et l’élargir à toutes les nations qui vivent sur la terre. Et c’est ce qu’il fait avec la fresque du Jugement dernier. Or, elle est sans équivoque, elle nous dit que le salut ne dépend pas de notre connaissance de Jésus, ni même de notre foi en lui ou de notre fidélité à le suivre et à le prier : il dépend de la manière dont nous traitons notre relation aux autres. Saint Jean de la Croix dira que nous serons jugés sur l’amour, l’amour manifesté à l’égard du prochain, signe de notre amour de Dieu.
Le seul critère pour bénéficier de la vie éternelle que Dieu nous promet et nous propose, c’est de nous mettre au service des plus petits, ceux que Jésus appelle « les plus petits de mes frères ». Nous, les chrétiens, nous pouvons agir en connaissance de cause, car la lecture des évangiles et des lettres de saint Paul nous enseigne que Jésus s’identifie au plus petit des êtres humains. Mais la scène de ce jour fait exploser les cadres trop étroits et rigides que nous collons autour de l’idée de religion, car il est question de tous les êtres humains qui auront fait du bien, même sans avoir connu Jésus, sans avoir appris à l’aimer et à le suivre : non-pratiquants, croyants d’autres religions, agnostiques, voire athées humanistes. Oui, il y aura beaucoup de surprises au Ciel, lorsque, au dernier jour, cet univers sera renouvelé, transformé, transfiguré, et que tous les élus entoureront le Dieu trois fois saint.
Cependant, le décor de joie de la scène de ce jour comporte un envers : l’annonce du sort de ceux qui n’auront pas servi leurs frères, les non-élus, qu’on appelle les damnés ou les réprouvés. Si Jésus décrit cet envers du décor, ce n’est pas pour nous faire peur, ni pour nous annoncer que l’Enfer regorgerait certainement d’humains, comme le croient certains de tendance « tradis ». Dans la Bible, de nombreux passages opposent bons et méchants, justes et impies, mais le leitmotiv qui traverse l’Écriture est clair : ce n’est pas la mort du pécheur que veut Dieu, mais qu’il se convertisse et trouve enfin la vie (par ex., Ézékiel 18,23.32). Et le Nouveau Testament renchérit en ces termes : Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité (1 Timothée 2,4).
À première écoute de cette page du Jugement dernier, on pourrait penser que Jésus, notre Roi, fait un tri entre les êtres humains, comme faisait Dieu dans la première lecture : « Voici que je vais juger entre brebis et brebis, entre les béliers et les boucs. » Mais n’en concluons pas trop vite que Jésus vient pour nous juger. À plusieurs reprises, il affirme qu’il n’est pas venu pour juger, mais pour donner la vie. Autrement dit, pour offrir la réconciliation à celles et ceux qui ont besoin de se tourner vers Dieu, ou de se rapprocher de lui. La fresque du Jugement dernier nous le dit clairement : le jugement, c’est nous-mêmes qui l’exerçons sur nous, par la manière dont nous menons notre vie. Au dernier jour, Jésus, le Roi de Gloire, s’adressera à chacun-e de nous, pour souligner ce qu’il y aura eu de beau et de bon dans sa vie, et pour en évacuer tout ce qui est mauvais et négatif. Prions pour que tous nos frères en humanité prennent conscience de leur responsabilité, non seulement vis-à-vis des plus petits de leurs frères et sœurs, mais aussi vis-à-vis de leur propre salut. Car la Bonne Nouvelle de Jésus peut réjouir les cœurs, mais elle est exigeante et doit être prise au sérieux. Ne nous moquons pas de Dieu, ni de nos frères et sœurs en humanité. Amen.