Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le jour de Noël, 25 décembre 2022 – Abbaye de Boscodon
Is 52,7-10 ; He 1,1-6 ; Jn 1,1-18
« Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager qui annonce la paix ! » Sur les montagnes qui entourent Boscodon en ce matin de Noël, ne croyez pas que je sois le messager de la paix, sous prétexte que je suis le prédicateur du jour. Non, c’est de nous tous, réunis en cette abbatiale, que parle le prophète Isaïe. Nous sommes envoyés dans le monde pour lui porter la bonne nouvelle de la paix et du salut, car Dieu aime l’humanité envers et contre tout, et il veut lui faire partager son règne de joie et de bonheur. Dans notre monde si abîmé, meurtri et fatigué, nous sommes comme des guetteurs : chargés de transmettre à nos frères et sœurs un message d’espérance et de joie, de leur dire que Dieu les aime et veut les consoler, les réconforter, leur donner la force d’avancer sur le chemin de la vie. Isaïe l’a dit, et les chrétiens ne l’ont pas oublié : le salut de Dieu est fait pour tous !
Mais la question qui se pose à notre époque, c’est de savoir ce qu’est le salut, à quoi ça sert, et pourquoi nous en aurions besoin. Une réponse tirée du catéchisme de notre enfance semble pouvoir suffire : Dieu vient nous sauver de nos péchés. Jésus, qui est né cette nuit, est notre Sauveur, comme son nom l’indique. Il est l’Agneau qui enlève le péché du monde, et même – dans la nouvelle version liturgique – qui enlève les péchés du monde… La lettre aux Hébreux nous a dit que Jésus a « accompli la purification des péchés ». Cette réponse est juste, mais certainement pas suffisante, et surtout pas très comprise de nos jours. On n’ose plus parler de péchés, cela fait ringard, cela écrase l’homme. Mais en voulant nous délivrer du poids de la mauvaise conscience face à Dieu, nous sommes tombés dans une situation bien pire : ce sont maintenant les réseaux sociaux qui font la pluie et le beau temps, qui distribuent les bons points et lynchent les ringards et les méchants. Avons-nous gagné au change ? Certainement pas. C’est pourquoi nous, chrétiens, nous ne devons pas avoir honte de notre foi, de notre conviction que, sans Dieu, l’être humain ne peut pas accomplir sa vocation.
Or, notre vocation, c’est le bonheur. Oui, nous sommes faits pour le bonheur. Et quand on sait que tant d’êtres humains, y compris des enfants, n’ont vécu sur cette terre qu’une succession d’horreurs et de tragédies, c’est pour nous un devoir de justice à leur égard de croire et d’affirmer que la vie ne s’arrête pas avec la mort physique. Si Dieu nous promet le bonheur, c’est qu’il veut faire de nous ses enfants, nous adopter par l’intermédiaire de son Fils unique. Le prologue de saint Jean nous l’a dit : « à tous ceux qui l’ont reçu, [le Verbe, la Parole de Dieu] a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu ». En célébrant la naissance du Fils éternel de Dieu dans notre humanité, en reconnaissant dans l’Enfant de Bethléem notre Sauveur, nous célébrons l’amour de Dieu pour chacune et chacun de nous, et son projet de bonheur.
Oser croire que Dieu nous aime comme ses enfants, c’est reconnaître qu’il parle à l’être humain depuis qu’il existe. Un père qui ne parle pas à ses enfants est indigne de ce nom. Parler, c’est entrer en relation, en communication, vouloir la communion avec d’autres personnes. Nous le savons, parmi tous les êtres vivants qui peuplent notre planète, seul l’être humain parle. Bien sûr, il y a dans les diverses espèces animales de nombreuses formes de communication : sons, gestes, regards ou phéromones ; mais le langage articulé, lié à une pensée, reste le propre de l’être humain.
Or, le début de la lettre aux Hébreux et le prologue de saint Jean entendus ce matin affirment que le premier être parlant, c’est Dieu. Parler, communiquer, c’est le propre de Dieu. Dieu est un être de relation, fait pour la relation. Les théologiens vous expliqueront que le mystère de la sainte Trinité est l’expression de cette relation entre le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Si Dieu l’avait voulu, il aurait pu en rester là, et nous ne serions pas réunis ici pour le célébrer. Nous ne serions même pas venus à l’existence, et le monde qui nous entoure n’aurait pas été créé. Mais, puisque nous sommes là, puisqu’un monde vaste et merveilleux nous entoure, nous reconnaissons que la vie qui nous anime vient de plus haut que nous, que nous sommes faits pour plus haut que nous. C’est la bonne nouvelle de Noël : Dieu nous rejoint dans notre humanité, sous la forme la plus fragile, celle d’un nouveau-né, pour nous attirer à lui et nous introduire dans sa famille unifiée par l’amour. Noël est alors la première étape liturgique du chemin qui nous mènera à Pâques, le festival de la vie. Amen.