Homélie du fr. Luc Devillers o.p. pour le 10 mars 2024 (4e dimanche de carême, année B) – Boscodon
(2 Ch 36, 14-16.19-23 ; Ep 2, 4-10 ; Jn 3, 14-21)
La première lecture de ce dimanche est peu connue. On ne la lit qu’une année sur trois, et seulement si on ne prend pas les lectures destinées à préparer les catéchumènes au baptême (qu’ils recevront la nuit de Pâques). Ce passage constitue la fin des livres des Chroniques : un recueil, réparti en deux rouleaux, qui relate la vie, puis la chute de la cour royale de Jérusalem, avec l’arrivée des Babyloniens. Ces livres s’inspirent largement des deux livres des Rois, plus anciens ; mais on y trouve aussi des ajouts, et des variantes. Quant au passage de ce matin, sans le moindre parallèle dans les livres des Rois, il est repris mot pour mot au début du livre qui le suit dans la Bible, le Livre d’Esdras.
Ce passage évoque une prophétie de Jérémie (voir Jr 25,12), qui annonçait l’abandon par Dieu du Temple, en raison de l’infidélité du peuple et de ses chefs : « En imitant toutes les abominations des nations païennes, ils profanaient la Maison que le Seigneur avait consacrée à Jérusalem. » Les Babyloniens ont brûlé la Maison de Dieu et détruit Jérusalem, et le roi Nabucodonosor a déporté à Babylone l’élite du peuple d’Israël. Ainsi s’est accomplie la prophétie de Jérémie, au sujet d’un exil d’environ 70 ans pour expier la profanation du Temple par l’idolâtrie des chefs et du peuple.
Dieu se fâche, il veut recommencer à zéro, avec un Temple purifié, avec une nouvelle dynastie. Mais celle-ci ne sera plus israélite, et le peuple d’Israël n’aura plus jamais de roi à lui. C’est un roi païen, Cyrus, le roi de Perse, qui va permettre aux exilés de rentrer au pays et d’y rebâtir le Temple. Ce roi, dont une courte ruelle de la Jérusalem moderne porte le nom : Rue Koresh. Il est possible qu’en évoquant « Le Seigneur, le Dieu du ciel », Cyrus ait assimilé le Dieu d’Israël au dieu suprême du panthéon perse, Ahura-Mazda. En tout cas, dans le livre d’Isaïe, Dieu l’appelle « mon berger » et « [m]on messie » (Is 44,28-45,1) : un messie païen ! À travers les aléas et les soubresauts de la géo-politique du Proche-Orient ancien, le Dieu unique se fraie un chemin, toujours animé par le désir que tous les êtres humains le connaissent, l’aiment et marchent selon ses principes de vie.
Qu’en est-il aujourd’hui, où le monde est secoué par de terribles catastrophes naturelles, mais aussi par de sinistres régimes brutaux et sanguinaires, avec des dictateurs ou des gangs toujours prompts à imposer leur vérité, en faisant taire les moindres opposants ? Est-ce que nous ne pourrions pas rêver d’un nouveau Cyrus ? Nous avions et nous avons encore de belles figures d’hommes et de femmes politiques, qui se sont mis au service de la réconciliation entre factions opposées, ou même entre peuples belligérants (la France et l’Allemagne, avec la belle figure de Maurice Schumann ; l’Afrique du Sud, avec son courageux Nelson Mandela ; et d’autres encore). Mais le bruit de la guerre, toujours injuste, se répand encore. Les croyants sont touchés, directement s’ils habitent un pays en guerre, la Russie ou l’Ukraine, Gaza ou le Liban par exemple, mais aussi indirectement quand ils sont les témoins impuissants de ces désastres. Alors, comme notre pauvre et brave pape François, si âgé et si malade, nous appelons encore et encore à la fin des guerres, nous appelons la paix !
Après la première lecture, nous avons entendu un merveilleux passage de la Lettre aux Éphésiens. Saint Paul, ou l’un de ses disciples, nous a annoncé que « Dieu est riche en miséricorde », et qu’« à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions des morts par suite de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ ». Dieu veut notre salut, le salut de toute l’humanité.
Et, dans l’évangile de ce jour, Jésus nous rappelle que ce salut, c’est bien plus que la libération du péché. Le salut, c’est surtout le don de la vie, le seul don que Dieu puisse faire. Car « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique [… Il] a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. » Celui qui sauve le monde, c’est Dieu, le Père. Pas seulement le Fils. Le Fils est le médiateur choisi par Dieu pour nous donner le salut. Et la croix de Jésus, préfigurée par le Serpent de bronze de Moïse, est le signe concret de l’amour de Dieu pour nous. Alors, n’ayons plus peur, ni de la lourde nuit qui pèse sur notre monde, ni de la violence de la haine et de l’envie, ni même de notre faiblesse. Croyons que Dieu peut encore faire des merveilles là où tout espoir humain est mort. La croix du Christ est déjà notre gloire. Amen !