Homélie du fr. Luc Devillers o.p. pour le 21 avril 2024 (4e dim. de Pâques, année B) – Boscodon
Ac 4,8-12 ; 1 Jn 3,1-2 ; Jn 10,11-18 (N.B. : la version orale diffère légèrement de ce texte)
« La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle » : c’est avec ce verset du Ps 117 que Pierre annonce la bonne nouvelle du Christ ressuscité. Dieu agit toujours d’une façon paradoxale, inattendue. Il choisit ce qui est faible, méprisé et fou pour confondre les puissants et les sages de ce monde. Tous les êtres humains, riches ou pauvres, grands ou petits, sont invités à accueillir le salut offert par Dieu ; mais les orgueilleux et prétentieux n’ont pas besoin de Dieu !
Pierre continue à prêcher, et déclare que Jésus est le seul Sauveur. C’est la raison pour laquelle, au fil des siècles, l’Église osera proclamer : « Hors de l’Église, point de salut ! » Cela paraît abusif. Cela pourrait même ressembler à un détournement, puisque l’Église semble ainsi s’approprier ce que les premiers disciples disaient de Jésus. Si nous pensons à nos proches qui ne croient ni en Dieu ni en Jésus, dans nos familles ou dans notre entourage social, nos voisins, nos collègues de travail, nos enseignants, nos élus etc., comment pouvons-nous affirmer devant eux qu’il n’y a de salut que dans l’Église ? Leur dire que Jésus est le Fils de Dieu qui nous sauve du péché et de la mort, c’est déjà difficile. Alors, comment affirmer : Hors de l’Église, point de salut ?
C’est que l’Église n’est pas une société humaine comme les autres ; elle n’est ni une démocratie, ni une association à but humanitaire, social ou même spirituel. Elle est le Corps du Christ. Autrement dit, si Jésus ressuscité est bien le seul envoyé divin qui nous transmet la vie de Dieu, le salut qu’il nous offre – et qui est beaucoup plus que la libération du péché, c’est aussi et surtout le don positif et gratuit de la vie –, nous atteint à travers son Corps, qui est l’Église. Or, dans ce Corps, chacun-e de nous est un membre unique, et donc indispensable.
Vatican II disait de l’Église qu’elle est le sacrement du salut. Mais cela, il serait insensé, indélicat et stupide, de l’affirmer purement et simplement devant des incroyants, ou des croyants d’autres religions. Car, pour qu’une affirmation soit reçue, il faut que ceux auxquels on s’adresse soient en état de la recevoir. Il nous faut donc apprendre à agir avec douceur, tact, respect, et humanité.
Aujourd’hui, 4e dimanche de Pâques, l’Église nous fait entendre un extrait du ch. 10 de saint Jean, consacré au Bon Pasteur. Et cette année 2024 marque le 60e anniversaire du « Dimanche des vocations », voulu par saint Paul VI. Nous prions spécialement aujourd’hui pour que le Seigneur accorde à son Église de nouveaux et nombreux prêtres, appelés à jouer un rôle de pasteur à la suite du Christ : qu’ils soient eux aussi de bons pasteurs, et non des mercenaires ou des loups abuseurs.
Mais, vous l’avez entendu, Jésus le Bon Pasteur a d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos, et il veut toutes les rassembler. Car le salut est pour toute l’humanité, pas seulement pour le petit groupe des chrétiens, de moins en moins nombreux (même si, dans nos pays de vieille chrétienté, on a enregistré cette année une forte augmentation des baptêmes de jeunes et d’adultes). Alors, prions les uns pour les autres, pour que nous trouvions les moyens, discrets et respectueux mais féconds, de faire connaître aux autres le message de Jésus, car c’est lui qui nous révèle notre vocation : voir Dieu face à face et à vivre éternellement dans sa lumière et sa joie, vivifiés par son amour.
Tel était le message, ce matin, de la première lettre de Jean : « Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté… Quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est. » Déjà, vers l’an 600, le pape saint Grégoire le Grand faisait ainsi le lien entre cette conviction de la Première lettre de Jean et l’évangile du Bon Pasteur : « Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer et sortir, et il trouvera un pâturage. Il […] trouvera un pâturage en arrivant au festin éternel […] Car le pâturage des élus, c’est le visage de Dieu, toujours présent : puisqu’on le regarde sans interruption, l’âme se rassasie sans fin de l’aliment de vie.(1) » C’est la même conviction qu’exprime la finale spéciale de la troisième prière eucharistique, pour les messes des défunts : « En te voyant, toi notre Dieu, tel que tu es, nous te serons semblables éternellement, et sans fin nous chanterons ta louange, par le Christ notre Seigneur. » AMEN !
Notes :
(1) Grégoire le Grand, Homélie sur l’évangile 14,3-6 (P.L. 76,1129-1130, L.H. II, p. 581). (retour au texte)