Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 26 juin 2022 (13e dimanche T.O., C) – Abbaye de Boscodon
1 R 19,16b.19-21 ; Ga 5,1.13-18 ; Lc 9, 51-62
Les deux fils de Zébédée, qu’ils sont violents ! On leur aurait volontiers donné le Bon Dieu sans confession, mais la réalité est bien différente : que de violence et de prétention chez ces deux-là ! On comprend que, d’après Marc, Jésus les ait surnommés Boanergès, « fils du tonnerre » (Mc 3,17). Une autre fois, rappelez-vous, ils demanderont à Jésus une faveur : devenir ses deux co-premiers ministres, rien que ça ! Inutile de vous dire que cela n’a pas plu aux Dix autres, pas forcément d’ailleurs au nom de l’honnêteté du jeu, mais plutôt par jalousie de se voir rafler les meilleures places.
En entendant de telles histoires, tirées de nos évangiles, je repense à ces mots d’une guide touristique turque, qui faisait visiter son pays à des groupes de pèlerins chrétiens. Lorsqu’un groupe s’arrêtait pour célébrer la messe, elle restait assise au fond de l’église, et n’en perdait pas une miette. Un jour, elle a dit au frère dominicain qui menait ce groupe : « Ce qui me frappe dans vos évangiles, c’est que les personnages ont l’air vrai ! » Je ne connais pas de plus beau compliment adressé à la foi chrétienne et à ses adeptes. Oui, les personnages des évangiles sont vrais, car les disciples ont tous leurs petits travers ou leurs gros défauts. Et c’est avec des gens comme ceux-là que Jésus a lancé sa barque sur les eaux de l’histoire humaine.
Au fur et à mesure de son voyage, la barque se déleste de certains passagers, qui la quittent par la voie naturelle de la mort physique, ou par lassitude spirituelle devant les exigences de la foi chrétienne, ou encore par fascination devant d’autres objets religieux ou spirituels à l’apparence plus clinquante. Mais, heureusement – et c’est une réalité que l’on peut vérifier d’année en année –, de nouveaux disciples montent dans la barque, et l’aventure continue. Si nous sommes là ce matin, chers frères et sœurs, c’est parce que dans nos vies nous avons fait cette expérience de la pleine humanité des disciples, de la fragilité de nos propres engagements, mais aussi de la fidélité de Dieu. Et nous essayons de tenir bon une fois encore, de poursuivre la route. Mais soyons présents à l’instant que nous vivons, puisque le présent est le seul lieu où Dieu nous rejoint, où Dieu nous attend.
Pour revenir au coup de gueule des fils de Zébédée, notons la vive réaction de Jésus : « Mais Jésus, se retournant, les réprimanda. » C’est net et sans bavure : Jésus n’adopte pas nos petits procédés égocentristes et violents, il nous apprend à agir comme Dieu agit avec nous. Et la leçon va continuer, avec d’autres personnages qui voudraient bien suivre Jésus, mais à leurs conditions. Jésus ne mange pas de ce pain-là, il renvoie dans les cordes ceux qui prétendent vouloir le suivre mais en gardant leur propre manière de gérer leur vie : « Je te suivrai partout où tu iras ! » Ah bon ? Mais « le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête » […] « Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père » (un devoir sacré en Israël) ; mais « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, pars, et annonce le règne de Dieu » […] « Laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison » (un devoir pieux que le prophète Élie a permis à son successeur Élisée d’accomplir) ; mais, pour Jésus, « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le royaume de Dieu. » Décidément, être disciple de Jésus, ce n’est pas une mince affaire !
Et à cela s’ajoute encore ce que Paul demande aux Galates : « Que [votre] liberté ne soit pas un prétexte pour votre égoïsme ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres. » Suivre Jésus, c’est donc apprendre un nouveau code de la route, et marcher sur un chemin de liberté sous la conduite de l’Esprit. Cela ne se fait pas en un clin d’œil, il y faut au moins un clin-Dieu, voire plusieurs. Oui, que Dieu nous fasse signe, et qu’il se mêle de la partie afin qu’elle soit gagnante ! Le jeu en vaut la chandelle, car, comme disait le psaume tout à l’heure : « Tu es mon Dieu ! […] Je n’ai pas d’autre bonheur que toi. » Amen.