Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 13 novembre 2022 (33e dimanche T.O., C) – Abbaye de Boscodon
Ml 3,19-20 ; 2 Th 3,7-12 ; Lc 21,5-19 (fin des temps, catastrophes et scandales en tout genre)
Le dernier mois d’octobre est le plus chaud jamais enregistré : signe du réchauffement climatique, tout comme les inondations et cyclones d’une puissance et d’une ampleur inouïes ; et les guerres et conflits en tant de pays, avec leurs répercussions sur notre vie quotidienne : augmentation du coût de la vie (produits de base, essence et moyens de chauffage)… Sommes-nous près de la fin du monde ? Jésus nous invite à la prudence : « Il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas aussitôt la fin. » Et comme si tout cela ne suffisait pas pour inquiéter nos sociétés, notre pauvre Église ajoute son lot de traumatismes, avec ces révélations en cascade concernant nos pasteurs. Faut-il alors choisir de quitter ce bateau qui prend l’eau de toute part ? Certains l’ont déjà fait. Mais est-ce la bonne réponse ? Écoutons plutôt ce que nous dit la liturgie de la parole de ce dimanche.
Dans son petit livre, le prophète Malachie dénonce les prêtres d’Israël qui, dans le service de Dieu, ne cherchent que leur intérêt personnel. Sous sa plume, la paille brûlée par la fournaise évoque ces arrogants et fauteurs d’impiété. N’est-il pas tentant de leur donner le nom de nos clercs abuseurs, au comportement immoral, scandaleux et condamnable ? Mais si la paille se consume vite dans la fournaise de Malachie, n’oublions pas le mot de Jésus sur la paille et la poutre : où est la paille, et où est la poutre ? Les autres sont-ils plus coupables que nous ? Malgré certaines formules dualistes que l’on y croise, le leitmotiv de la Bible n’est pas que le monde est partagé entre bons et méchants, entre justes et impies, mais plutôt que « la source de l’enfer coule dans le cœur des hommes », comme l’a écrit un jeune poète. Ou, en termes bibliques : chacun de nous a un cœur partagé, divisé, entre un bon penchant et un mauvais ; demandons à Dieu de l’unifier pour que nous puissions l’aimer de tout notre cœur, lui qui ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive !
Cessons alors de ne voir l’arrogance et l’impiété que dans le cœur et les actes des autres, et avançons avec un cœur purifié, un cœur de pécheur qui se sait pardonnable et demande humblement le pardon. Soyons-en sûrs, même si ce langage n’a rien de rationnel : c’est par notre propre travail de conversion, de demande de pardon, que nous ferons avancer le salut du monde, sa rédemption dans le monde nouveau que Dieu promet. Allons jusqu’au bout de la Parole de Dieu. L’essentiel du propos de Malachie n’est pas de dénoncer le mal, viscéralement mortifère et condamné d’avance, mais plutôt d’annoncer une bonne nouvelle : « Pour vous qui craignez mon nom, le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement. »
Dans ce Soleil de justice, nous reconnaissons Jésus. Si, comme toute église antique ou médiévale, celle de Boscodon est orientée, tournée vers l’est, c’est bien sûr afin de permettre aux premiers rayons du soleil d’illuminer l’autel au moment de la messe, qui était célébrée tôt le matin. Mais, sur le plan théologique, cela nous dit que Jésus est notre vrai Soleil levant, l’Astre du matin, l’Étoile radieuse du matin. C’est lui dont Malachie annonçait déjà la venue : « Pour vous qui craignez mon nom, le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement. » Telle est la bonne nouvelle de ce matin : il y a une vraie justice, celle de Dieu, qui se manifeste dans la guérison et le pardon. Guérison de notre monde blessé par les bouleversements climatiques. Libération des guerres et de toute forme de violence. Guérison des personnes atteintes dans leur dignité et leur corps par des abuseurs en tout genre. Mais aussi pardon offert aux abuseurs qui reconnaissent leur faute et s’en repentent, car Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive !
Alors, avec le psalmiste, disons en ce haut lieu de Boscodon : « Que les montagnes chantent leur joie. Acclamez le Seigneur, car il vient pour gouverner […] le monde avec justice et les peuples avec droiture ! » Et, avec saint Paul, disons-nous les uns aux autres : Cessons de mener une vie déréglée, travaillons dans le calme pour manger le pain que nous aurons gagné ! Il aura peut-être un goût d’amertume et de larmes, mais il pourra aussi être un remède qui recrée en nous l’innocence jaillie des mains de Dieu. La fin de l’année liturgique tourne nos regards vers le monde nouveau, l’humanité réconciliée en elle-même, avec Dieu et avec toute la création. Ce n’est pas l’heure de déserter, Jésus nous l’a redit ce matin : « C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. » Amen.