Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 1er novembre (fête de Tous les saints, C) – Abbaye de Boscodon
Ap 7,2…14 ; Ps 23/224 ; 1 Jn 3,1-3 ; Mt 5,1-12
« Une foule immense, […] de toutes nations […], vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main […] L’un des Anciens […] me dit : ‟Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils ?” » Oui, qui sont-ils, ces gens vêtus de blanc ? Les moines chalaisiens, qui sont venus à Boscodon en 1142 ? Les sœurs et frères dominicains, qui depuis 1972 ont pris leur relais ? Eh bien, non ! Si les moines de Boscodon et les dominicains sont habillés en blanc, c’est parce qu’ils voulaient un vêtement simple, fait avec de la laine non teinte. Et leurs vêtements n’étaient pas forcément d’un blanc resplendissant, comme celui que vantent les marchands de lessive. Ils étaient juste non teints, plus ou moins blanc cassé, blanc crème, vaguement beige. Comme les vêtements des paysans du Moyen-Âge, pas trop chers. Plus tard, les dominicains donneront une signification symbolique à cette couleur blanche : c’est un vêtement de lumière, car ils se voulaient « fils de lumière ». Et surtout, ils voulaient annoncer la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu, en affichant la couleur. Or, dans la Bible le blanc est la couleur de Dieu, de la vie, de la victoire sur la mort.
Ce n’est pas toujours le cas. Ces derniers jours, à l’occasion de la fête profane de Halloween, cent-cinquante personnes sont mortes étouffées et écrasées par une foule en panique, dans une rue de Séoul en Corée. Juste après ce drame effrayant, les gens sont venus se recueillir sur le lieu en déposant des fleurs blanches. Car, pour plusieurs peuples de l’Extrême-Orient, le blanc est la couleur des morts. À notre époque, les fêtes religieuses chrétiennes sont souvent ignorées ou méconnues. On en profite pour créer des jours fériés, comme le congé de la Toussaint. Mais elles sont concurrencées par des traditions païennes, comme Halloween, qui pourtant veut dire « veille [de la fête] de tous les saints ». Si ça vous amuse de creuser des navets ou des citrouilles pour en faire des lanternes, pourquoi pas ? Mais ne vous laissez pas impressionner par la légende des esprits des morts qui rôdent pendant ces jours. Et si cette année cette fête a été endeuillée, ne laissez pas l’angoisse de la mort vous envahir, ne faites pas des vêtements blancs de l’Apocalypse des signes de mort. Bien au contraire, ils sont signes de vie.
Justement, revenons au livre de l’Apocalypse. On demande à Jean, le voyant de Patmos, qui sont ces gens vêtus de blanc. Et comme il donne sa langue au chat, on lui donne la bonne réponse : « Ceux-là viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. » Non seulement ils sont vêtus de blanc, mais en plus ils tiennent des palmes dans leurs mains, et il est question de sang. Plus tard, les palmes symboliseront le martyre, c’est-à-dire la mort violente, et souvent cruelle, de chrétiens persécutés. Mais le choix de ce passage de l’Apocalypse pour la fête de Tous les saints est la preuve que les martyrs ne sont pas les seuls saints.
Alors, c’est clair : les gens vêtus de robes blanches, ce ne sont pas exclusivement les moines chalaisiens, ni les frères et sœurs dominicains, ni non plus les martyrs qui ont versé leur sang par fidélité au Christ. C’est vraiment « une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues ». Et si leurs robes sont blanches, c’est qu’ils les ont lavées « dans le sang de l’Agneau » ! Même les martyrs de la foi ne sont pas sauvés par leur propre sang, mais par celui de Jésus, l’Agneau de Dieu, qui a donné sa vie sur la croix par amour pour nous. Être saint, c’est donc aimer Jésus et être prêt à le suivre. Tant pis s’il y a des moments où on flanche, où on fait la grasse matinée ou l’école buissonnière ; tant pis si nous sommes encore pécheurs, et manquons de vérité et de fidélité dans l’amour. Les saints ne sont pas des « petits saints », mais de pauvres être humains pécheurs comme tous les autres, qui ont fait confiance en Jésus, et lui ont humblement demandé le pardon de leurs erreurs passées et la force pour continuer la route. L’Évangile des Béatitudes ne décrit pas ce que nous sommes aujourd’hui, mais se présente comme une boussole qui nous montre la direction vers laquelle il faut marcher : les yeux fixés sur Jésus, notre modèle et notre ami, notre frère aîné. C’est grâce à lui que nous pourrons arriver un jour dans la Maison de Dieu, et voir face à face ce Père plein d’amour dont nous sommes les enfants. Amen.