Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 16 octobre 2022 (29e dimanche T.O., C) – Saint-Sauveur (Hautes-Alpes)
Ex 17,8-13 ; 2 Tm 3,14 – 4,2 ; Lc 18,1-8 (lutte contre le mal, prière et foi)
Israël est en guerre contre les Amalécites, et Dieu lui assure la victoire grâce à l’intercession de Moïse ! Bien sûr, on peut trouver normal que Dieu veille sur son peuple. Et cette première lecture nous prépare à recevoir l’évangile de ce jour, dans lequel Jésus nous encourage à la prière instante et confiante, et se soucie de la vitalité de notre foi.
Mais, tout de même, on a du mal à imaginer que Dieu prenne part à un conflit entre humains en choisissant un camp contre l’autre. Si Israël est son fils chéri, Dieu n’a-t-il pas créé tous les êtres humains à son image ? Ne veut-il pas le salut de tous les hommes, même des pécheurs ? Les guerres n’ont pas cessé au cours de l’histoire, même dans les pays chrétiens : la terrible guerre qui se déroule actuellement à l’est de l’Europe, et oppose deux nations de tradition chrétienne, en est la tragique preuve. Pourtant, la Bible dit que le Seigneur est un Dieu briseur de guerre (Judith 9,7) ; et Jésus proclamait, depuis le mont des Béatitudes : « Bienheureux les faiseurs de paix, car ils seront appelés fils de Dieu ! » (Mt 5,9). En écho à ces affirmations bibliques, le saint pape Paul VI a crié à la tribune de l’ONU : « Plus jamais la guerre ! » Mais la guerre continue à sévir, ravageant toujours de plus nombreuses populations innocentes. Comment entendre ce récit de l’Exode aujourd’hui, avec cette guerre qui dure en Ukraine, et les autres conflits plus éloignés de nous mais tout aussi atroces ? Comment ne pas entendre la prière instante de notre pape François, pour que les hommes arrêtent de faire la guerre ?
Au début de l’été, le groupe biblique œcuménique qui se réunit à la cure d’Embrun a été interpellé par un journaliste, qui nous a demandé : À quoi ça sert de prier pour stopper la guerre ? Si Dieu peut entendre cette prière, pourquoi laisse-t-il mourir des innocents qui n’y sont pour rien ? Nous avons balbutié une réponse, modeste mais sincère. Nous avons dit que nous ne sommes pas des marionnettes entre les mains de Dieu, mais des êtres libres, coresponsables et partenaires de leur salut ; et que c’est le mauvais usage de notre liberté qui permet la guerre et toutes les injustices. Dieu n’intervient pas directement pour nous laisser prendre nos responsabilités. Même s’il est l’unique Sauveur, il nous associe à son œuvre de paix et de réconciliation.
Revenons au récit de l’Exode. Il s’achevait sur ces mots guerriers : « Et Josué triompha des Amalécites au fil de l’épée. » Or, nous avons entendu saint Paul affirmer : « Tout passage d’Écriture est inspiré par Dieu et utile pour enseigner, dénoncer le mal, redresser, éduquer dans la justice. ». Essayons donc de lire ces mots guerriers d’une façon plus évangélique, en en donnant une lecture symbolique, comme l’ont souvent fait nos premiers pères dans la foi. Dans la mentalité biblique, Amaleq et son peuple sont devenus le symbole de toute forme de mal. De plus, le nom de Jésus – « Dieu sauve » – est le même que celui de Josué. Enfin, le tranchant de l’épée est une image biblique pour dire que la parole de Dieu est vivante, « plus effilée qu’une épée à deux tranchants, elle qui va jusqu’au fond de nos cœurs » pour nous convertir (cf. Lettre aux Hébreux 4,12). La fin de ce passage de l’Exode peut alors nous dire ceci : « Et Jésus triompha du mal et de la mort par sa parole, qui vient de Dieu et donne le salut et la vie. » Dans le cloître de Boscodon, on montre aux visiteurs une armoire encastrée dans le mur de l’église. On explique que les moines y prenaient leurs livres de prière. Or, le mot armoire, en latin armarium, signifie au sens propre « lieu où on range ses armes ». La Bible et la prière, telles sont les armes des disciples de Jésus.
Mais à la fin de l’évangile Jésus nous interpelle : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » Là est l’enjeu véritable pour nous, chrétiens : croyons-nous à ce que nous célébrons dans la messe ? Croyons-nous que Dieu existe et qu’il veut le bonheur de tout être humain, mais aussi qu’il compte sur notre collaboration à son œuvre de salut ? Croyons-nous qu’avec son aide nous pouvons faire des miracles, déplacer les montagnes d’orgueil, de paresse et d’individualisme qui envahissent nos cœurs, pour redonner leur place à l’amour vrai, désintéressé, au service des autres, surtout des plus petits, des plus fragiles, des plus blessés ? Dans notre monde en crise, la question de notre fidélité à Jésus n’a rien d’anodin. Soyons-en persuadés : il attend notre réponse. Amen.