Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 12 février 2023 (6e dim. du TO A) – Abbaye de Boscodon
Si 15,15-20 ; 1 Co 2,6-10 ; Mt 5,17-37
Plusieurs Pères de l’Église, des pasteurs et théologiens des premiers siècles chrétiens, ont dit que Dieu, en créant l’humanité à son image, ne pouvait pas ne pas la faire participer à l’un de ses plus beaux attributs : la liberté ! Les lectures de ce dimanche se présentent comme une suite de variations sur la création de l’humanité à l’image de Dieu, avec en mains ce précieux cadeau de la liberté. Il ne s’agit pas de liberté physique, qui n’existe pas toujours car bien des gens innocents sont entravés dans leur corps à la suite d’une malformation, d’une maladie, d’un accident ou de mauvais traitements infligés par des tiers ; et d’autres sont emprisonnés dans des murs de béton ou des cages par des régimes oppresseurs qui leur refusent la liberté d’opinion. La liberté dont Dieu nous a gratifiés est une liberté spirituelle : c’est « la sagesse du mystère de Dieu » dont nous a parlé Paul.
Au cours de son histoire multiséculaire, l’Église catholique n’a pas manqué de faux pas. Nous le savons, toutes les pages de notre histoire religieuse ne sont pas blanches comme la neige de nos montagnes. Ici, à Boscodon, comme dans d’autres abbayes, des fils de noblesse ont endossé le rôle d’abbé commendataire sans être moine, afin de percevoir les bénéfices du travail des moines. Dans l’ordre dominicain certains frères ont participé avec acharnement à l’Inquisition ; certains, mais pas tous, et nous nous réjouissons, nous les dominicains, de savoir que saint Dominique est mort avant que naisse la première Inquisition ! Des faux pas dans la vie de l’Église et dans son gouvernement, il y en a donc eu. Et ça dure encore, avec toutes les affaires sordides qui ressortent et les attaques contre le pape. Mais c’est inévitable, car nous sommes tous pécheurs. Dans la vie ecclésiale comme dans notre vie personnelle, le bon grain et l’ivraie sont mêlés. Mais la grande audace de Dieu, que Jésus nous a révélée dès le début de son ministère en choisissant ses douze apôtres, est que Dieu fait confiance à des hommes pécheurs pour que, avec sa grâce, ils puissent mener une vie digne de l’Évangile, et annoncer l’Évangile de la liberté.
La liberté que Dieu nous offre est un risque, mais aussi une belle aventure et la plus belle marque de confiance de sa part. Au IIe siècle avant notre ère, Ben Sira le disait de façon limpide : « Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle. […] La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix. [… Le Seigneur] n’a commandé à personne d’être impie, il n’a donné à personne la permission de pécher. » Le Seigneur n’a pas disposé devant nous la vie et la mort pour s’amuser à voir vers laquelle nous allions nous tourner. Non, Dieu n’a pas fait la mort, dit l’Écriture (cf. Sg 1,13) ! Mais en présentant sous nos yeux la vie et la mort, il nous suggère qu’il n’y a de vie qu’en lui. Si donc nous voulons vivre, allons à lui, suivons-le, écoutons-le, obéissons à ses commandements qui sont des paroles de vie. Il nous a offert la liberté pour que nous allions librement à lui, attirés par la source de vie et de joie qu’il est en vérité, et lui seul.
Le psaume que nous avons chanté nous dit comment trouver le bonheur : « Heureux les hommes […] qui marchent suivant la loi du Seigneur, […] qui gardent ses exigences, ils le cherchent de tout cœur ! » La sagesse dont parle saint Paul consiste à aimer ce Dieu qui veut pour nous un bonheur sans fin. Un bonheur que notre vie sur cette planète construit petit à petit, pas à pas. Un bonheur qui commence ici, malgré toutes les difficultés matérielles ou psychologiques de la vie quotidienne, mais qui s’épanouira d’une manière que nous ne pouvons imaginer quand nous serons accueillis dans la Maison du Père, là où Jésus ressuscité veut nous conduire (cf. Jn 14,1-6).
Reste alors, mais c’est sans doute le plus difficile, le plus exigeant, à entendre sincèrement les mots de Jésus : « Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement. […] Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur. […] Eh bien ! moi je vous dis : […] Que votre parole soit ‘oui’, si c’est ‘oui’, ‘non’, si c’est ‘non’. » Apprendre à vivre à ce haut niveau de sensibilité spirituelle, qui nous fera éviter toute occasion de nuire au prochain, même si peu. Demandons les uns pour les autres cette grâce d’avancer joyeusement sur le chemin de la vraie liberté.