Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 30 avril 2023 (4e dim. de Pâques A) – Abbaye de Boscodon
Ac 2,14a.36-41 ; 1 P 2,20b-25 ; Jn 10,1-10
Le 4e dimanche de Pâques est appelé « le dimanche du Bon Pasteur », parce que chaque année on y lit un extrait du ch. 10 de Jean, dans lequel Jésus se désigne comme le « Bon Pasteur ». Cette expression apparemment simple mérite notre attention. Spontanément, lorsque nous l’entendons, nous imaginons le Christ comme un berger qui prend soin de son troupeau, spécialement des brebis les plus fragiles. Un berger vraiment bon, plein de tendresse et de miséricorde. Et si vous avez quelque connaissance de l’art chrétien des premiers siècles, vous pensez sans doute à cette représentation du Christ comme un jeune berger qui tient sur ses épaules la brebis perdue qu’il a fini par retrouver. Belle image, qui dit très justement la tendresse, la sollicitude, la bienveillance, bref, la bonté de Dieu à l’égard de notre pauvre humanité qui parfois s’égare loin de lui ! Mais Dieu ne veut pas la mort du pécheur, il veut qu’il se convertisse et revienne à la vie ! Il va lui-même à sa recherche, comme au soir du premier péché dans le jardin de la Genèse, où il criait (Gn 3,8-9) : « Où es-tu ? »
Mais cette image du berger plein de compassion ne vient pas de saint Jean. Elle provient de l’évangile de Luc, dans lequel Jésus répond aux critiques des bien-pensants, choqués par le fait que Jésus partage la table des publicains et des pécheurs. C’est ce berger de la parabole qui laisse les 99 brebis de son troupeau (sans doute sous la garde de ses chiens, même si le texte ne le dit pas), pour aller à la recherche de la brebis perdue. Et quand il l’a trouvée, il la met sur ses épaules et revient tout joyeux, prêt à faire la fête avec ses amis (Lc 15,1-7).
Chez Jean, le « bon Pasteur » est le vrai berger, celui qui mérite bien son nom et qui remplit bien sa charge, à la différence des mercenaires prêts à s’enfuir lorsque le loup approche. Dans le Nouveau Testament, l’adjectif « bon » a souvent le sens de « valable, compétent, authentique ». Comme nous disons que nous avons tiré le bon numéro, fait le bon choix. Comme saint Luc dit de Marie de Béthanie qu’elle a choisi la bonne part – traduit souvent par « la meilleure part », au risque d’introduire une idée de concurrence avec sa sœur Marthe, idée tout à fait étrangère à Luc (Lc 10,38-42).
La 1e lettre de Pierre nous a rappelé que Jésus nous a sauvés en acceptant de mourir pour nous sur le bois de la croix. Et l’auteur poursuivait en disant : « Vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes. » Jésus est notre berger, parce qu’il veille sur nous.
Mais revenons à l’évangile de ce jour. Il y est bien question d’un berger : « Celui qui entre par la porte – dit Jean –, c’est le pasteur, le berger des brebis. Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. » Il s’oppose aux voleurs et aux bandits qui entrent par effraction, et ne viennent que pour détruire et piller. Et cependant, l’évangile de ce jour se termine sur une autre image : celle d’une porte ! Oui, Jésus se présente comme la porte des brebis. Or, ailleurs dans l’évangile il se déclare « la Lumière du monde » (Jn 8,12 ; 9,5 ; 12,46), ou « le Chemin » qui mène au Père (Jn 14,6). Toutes ces images sont parlantes, mais ne peuvent pas se superposer. On ne peut pas être à la fois le chemin, la lumière sur le chemin, puis la porte au bout du chemin, tout en étant le berger qui passe par ce chemin, éclairé par cette lumière, et qui ouvre la porte donnant accès au Père ! Il nous faut apprécier les images de l’évangile de Jean, comme des autres textes bibliques, mais ne jamais en absolutiser une. Selon notre tempérament, notre avancée dans la vie spirituelle, nous serons à tel moment plus attirés par telle image, puis plus tard par une autre. C’est normal, et c’est bien ainsi.
Je termine en vous citant le pape saint Grégoire le Grand, qui commentait l’évangile de la Porte en disant : « Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer et sortir, et il trouvera un pâturage. Il […] trouvera un pâturage en arrivant au festin éternel […] Car le pâturage des élus, c’est le visage de Dieu, toujours présent : puisqu’on le regarde sans interruption, l’âme se rassasie sans fin de l’aliment de vie.(1)» En ce dimanche des vocations, prions pour que tous les hommes découvrent le bonheur auquel ils sont appelés, leur vocation éternelle : voir le Père face à face, en passant par Jésus, dans la lumière de l’Esprit. Amen.
Notes :
(1) Grégoire le Grand, Homélie sur l’évangile 14,3-6 (P.L. 76,1129-1130, L.H. II, p. 581).(retour au texte)