Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le dimanche 6 août 2023, Transfiguration (A) – Boscodon
Dn 7,9-10.13-14 ; 2 P 1,16-19 ; Mt 17,1-9
Plusieurs épisodes caniculaires ont marqué les vingt dernières années, mais, de mémoire d’homme, 2023 semble atteindre un record : jamais on n’avait connu un été aussi chaud. Nous sommes en pleine canicule, avec tous les risques d’incendie que cela suggère. Mais, au fait, d’où vient ce mot de « Canicule », et que signifie-t-il ? En latin, canis désigne le chien ou la chienne ; et canicula est un diminutif féminin, qui signifie « petite chienne » ! C’est ainsi que les Romains désignaient Sirius, l’étoile principale de la constellation du grand Chien. Et comme cette étoile se lève et se couche avec le soleil au début du mois d’août, le mot a fini par désigner cette période particulièrement chaude. Et, par la suite, toute période de chaleur extrême.
En ce 6 août, en pleine canicule, nous voici en train de célébrer la fête de la Transfiguration du Christ. Ce n’est pas par hasard : en choisissant cette date, la liturgie veut nous dire que notre vraie source de lumière et de chaleur, ce n’est pas la petite chienne ou le grand Chien, ou tout autre élément naturel, mais le Christ, le Verbe de Dieu.
Le prophète Daniel a eu plusieurs visions qui lui ont fait approcher le mystère du Dieu d’Israël, normalement invisible sur cette terre. Vous l’avez entendu, dans l’une de ces visions Dieu (= le Père) était symboliquement représenté par un Vieillard vêtu de blanc pur. Son âge et sa couleur étaient signe de sainteté et d’éternité. Or, au cours d’une nouvelle vision, Daniel voit à ses côtés un second personnage : « Je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. » « Comme un Fils d’homme » : dans le langage apocalyptique, ce « comme » veut rappeler que l’être humain ne peut percer les secrets du Dieu invisible ; il ne peut que les approcher de loin, en avoir une vague idée. Il ne peut donc en parler que par approximation : « Comme un Fils d’homme ».
Ce personnage qui s’avance, les chrétiens l’ont très vite identifié à Jésus. Cela était d’autant plus facile que Jésus lui-même, selon le témoignage des quatre évangiles, s’est souvent désigné comme « le Fils de l’homme ». En parlant ainsi, Jésus suggère deux choses. Tout d’abord, qu’il est bien de notre espèce humaine : il n’est pas un pur esprit, ni le produit des fantasmes des premiers disciples ; il a réellement vécu parmi les humains, comme l’un de nous. Mais, surtout, ce personnage vu par Daniel « comme un Fils d’homme » s’approche de Dieu « avec les nuées du ciel » : c’est donc un personnage exceptionnel, qui appartient au monde céleste.
Jésus a demandé à ses Douze apôtres de se prononcer sur lui : « Pour vous, qui suis-je ? » Et nous, que pourrions-nous répondre à cette question ? Qui est Jésus pour nous ? Un dieu, un demi-dieu, un avatar, une simple image, ou encore tout simplement un homme bien de chez nous, divinisé petit à petit par des croyants un peu trop généreux ? Ces questions sont anciennes, mais elles demeurent toujours pertinentes.
Mais, ce matin, nous ne sommes pas là par hasard. C’est bien la foi de l’Église qui nous réunit : nous reconnaissons en Jésus de Nazareth, non seulement l’un de nous, notre frère en humanité, mais aussi l’Envoyé suprême de Dieu. Et même son propre Fils éternel, qui partage sa divinité. La foi chrétienne est d’abord attachement à la personne de Jésus, mais elle est inséparable de la foi en l’incarnation de Dieu et en la Trinité.
Aujourd’hui, la vision du Christ transfiguré est si forte que Pierre voudrait bien que ça ne s’arrête pas : allons, plantons trois tentes pour Jésus, Moïse et Élie ! Mais non : ce n’est pas encore l’heure de la contemplation sans fin du visage de Dieu. Pour nous qui ne voyons pas le Christ, la voix off du Père nous dit d’écouter son Fils bien-aimé ; et ce sont les évangiles et le témoignage des apôtres qui nous donnent accès à sa parole. Alors, écoutons-le, essayons de vivre un peu plus comme il nous dit de le faire. Et la joie et la lumière de la Transfiguration seront avec nous pour toujours, dans l’attente du face à Face avec notre Père. Amen.