Homélie du fr. Luc Devillers OP pour la fête de l’Assomption (15 août 2023), Abbaye de Boscodon
Ap 11,19a… – 12,10b ; 1 Co 15,20-27a ; Lc 1,39-56
Avez-vous déjà regardé de près le christ qui trône au-dessus de l’autel, au chevet de cette abbatiale ? Sculpté par le fr. Isidore dans un poirier du village, il accueille chaque personne qui entre dans l’église, quelles que soient ses convictions et sa situation. Il n’est pas souffrant, et n’est même pas cloué sur une croix. Cependant, la croix n’est pas évacuée, pas oubliée : bien au contraire, c’est Jésus lui-même qui est en forme de croix, comme pour nous rappeler que la croix ne nous sauve pas si elle n’est pas SA croix, le signe concret de l’amour fou de Dieu pour notre humanité. Le vendredi saint n’est donc pas ignoré, mais il est déjà illuminé par la joie de Pâques. Jésus a de grands yeux, comme sur les icônes ou les chapiteaux romans ; et, avec ses mains largement ouvertes, il accueille tout le monde. Mais regardez les pieds de Jésus : alors que sa tête est grande, ses pieds sont tout petits et légers. Ce n’est pas une erreur du sculpteur : c’est pour évoquer son envol, son ascension auprès du Père.
Dimanche dernier, le fr. Régis a évoqué cette ascension de Jésus. Pour nous dire qu’elle nous libérait de nos pesanteurs. Oui, quel que soit le régime que l’on peut suivre, alimentaire, sportif ou spirituel – à la manière de Hildegarde de Bingen, par exemple, qui sera honorée ici dimanche prochain –, nous resterons toujours, jusqu’à la fin de notre vie terrestre, un peu engoncés dans notre vêtement de chair, trop pesant pour nous laisser nous envoler au ciel. Cela veut-il dire que nous ne sommes pas faits pour le ciel ? Certainement pas. Mais cela, justement, nous remet à notre juste place : nous sommes d’humbles créatures de Dieu, certes très aimées et destinées par lui à un avenir extraordinaire, mais créatures tout de même. Et notre salut, ce n’est pas nous qui le faisons à coup d’exploits sportifs, comme ceux qui animent la région d’Embrun en ce jour. C’est le Christ qui nous emmène dans la gloire de Dieu, par le mystère de son ascension.
Aujourd’hui, nous ne faisons pas mémoire de l’ascension de Marie dans le ciel, comme si elle y allait avec ses propres forces. Nous faisons mémoire de son assomption : elle est assumée, autrement dit prise en charge par le Ressuscité qui vient la chercher dans le royaume des morts, sans lui permettre de connaître la corruption de la chair, pour l’entraîner dans le royaume de Dieu, celui des vivants qui nous est promis.
Le premier fruit de la croix de Jésus fut le Bon larron, ce malfaiteur condamné à la croix en même temps que lui, et qui a vu sa prière exaucée d’une façon mille fois plus belle que ce qu’il pouvait oser demander ou imaginer : « Aujourd’hui, lui dit Jésus, avec moi tu seras dans le Paradis. » Dès le jour de sa mort cet homme est donc entré avec Jésus dans la gloire. Mais a-t-il une dernière fois exercé son activité de voleur, en coupant la file et en passant devant Marie, la Mère de Jésus ? Non. Il a reçu de Jésus la promesse que son itinéraire humain sur terre était heureusement achevé, qu’il était pleinement sauvé. Cependant, son corps sera porté en terre, et comme celui de tous nos proches – même ceux qui auront subi une crémation, volontaire ou involontaire – il devra reposer quelque temps dans l’attente de la résurrection des corps. Car nos corps sont promis à la résurrection, mais d’une façon que nous ignorons et qui est l’affaire de Dieu. Affirmer notre foi en la résurrection de la chair, comme nous le faisons le dimanche et pour les grandes fêtes comme aujourd’hui, c’est affirmer la dignité de chaque être humain, irremplaçable, unique, précieux aux yeux de Dieu. Or, un être humain n’est pas que spirituel, il a un corps, une chair.
Dans le cas de Marie, la foi nous dit que pour elle le rythme du salut s’est accéléré. Elle est bien passée par la mort comme son fils Jésus, mais comme pour lui son corps n’a pas subi la corruption du tombeau. Elle est déjà corps et âme dans le ciel. L’ascension de Jésus nous ouvre le ciel, nous offre l’espérance du bonheur sans fin auprès de Dieu. Mais l’assomption de Marie nous rappelle que l’accès à ce bonheur éternel est l’œuvre de Dieu pour chacune et chacun de nous. Voilà notre foi, voilà notre espérance, voilà notre joie. Bonne fête à tous ! Amen.