Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 3 septembre 2023 (22e dim. du TO A) – Boscodon
Jr 20,7-9 ; Rm 12,1-2 ; Mt 16,21-27
Renoncer à soi-même, offrir en sacrifice sa personne tout entière : ces mots de Jésus et saint Paul peuvent choquer. La foi en Jésus serait-elle un frein à notre épanouissement, à notre liberté, à notre désir de vivre comme bon nous semble ? Bien des gens l’ont pensé, beaucoup le pensent encore. Parmi eux, certains anciens chrétiens : une épreuve jugée trop lourde, un pépin dans la vie, ou tout simplement une réflexion bousculée par les fameux « maîtres du soupçon », comme Paul Ricoeur appelait Nietzsche, Marx et Freud, les ont amenés à renoncer à la foi, jugée infantile, ou oppressante.
Notre monde est en surchauffe. En ce mois de septembre, dénommé par les Églises Temps de prière pour la Création, nous nous repentons, en tant qu’humanité – et spécialement nous les habitants des pays riches – d’avoir participé fortement à la dégradation de la nature : détérioration climatique, excès dans le froid comme dans le chaud, coups de vent d’une force inouïe, vagues déferlant sur les villes de bord de mer. Et cela va de pair avec l’immigration des peuples pauvres du sud, et les blocages de notre Vieille Europe. Violences des guerres civiles et internationales, en Ukraine, dans plusieurs pays d’Afrique et dans tant d’autres parties du globe. Violences urbaines aussi, règlements de comptes entre gangs de la drogue, manifestations populaires s’achevant dans le pillage en règle d’une mairie ou d’un tribunal… La liste est longue, qui incite au pessimisme.
Mais nous voici rassemblés pour nous tourner vers le Dieu vivant, notre Père, et lui confier toutes nos détresses et celles de nos contemporains, pour recevoir de lui une parole de réconfort. Malgré la persistance des idées transmises par les « maîtres du soupçon », n’hésitons pas à relever la tête et à dire : oui, nous croyons en Dieu, nous croyons que Dieu n’est pas un fantasme né de notre imagination puérile, nous savons que l’être humain et le monde créé qui nous entoure valent bien mieux que ces petits calculs égoïstes et animés par la violence, et finalement par la peur.
Alors, forts de notre foi, nous pouvons prendre au sérieux la parole de Jésus, si déconcertante, si exigeante, car nous croyons qu’elle est source de vie : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera. »
Alors, oui, les mots de saint Paul peuvent résonner dans nos cœurs : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. » Le monde présent, nous ne le connaissons que trop bien, puisque c’est le nôtre. Nous sommes membres de cette société humaine devenue folle, qui ne sait plus à quel saint se vouer, qui est prête à tous les excès puisque plus rien n’a de sens à ses yeux. Alors, écoutons l’apôtre qui nous dit de ne pas nous laisser prendre au piège des idées trompeuses du monde, de ses sirènes de malheur. C’est « au nom de la tendresse de Dieu » que Paul nous exhorte à nous laisser transformer par l’accueil de la volonté de Dieu. Car la partition que le Seigneur nous donne à jouer, ou à chanter, est une ode à la vie.
Cette vraie vie n’est pas seulement la vie pour plus tard, pour après la mort. Non, la vie de Dieu nous est déjà donnée : de par notre baptême elle nous habite, elle innerve tout notre être physique, psychique, intérieur. Chacune et chacun de nous a pu, au moins une fois dans son histoire, faire l’expérience de cette proximité de Dieu, de sa force qui nous permet de tenir, d’avancer, d’aimer les autres en vérité, de les soutenir et de leur pardonner si nécessaire. La vie de Dieu, laissons-la se saisir de nous !
Ce matin Jérémie, le plus christique des prophètes d’Israël, avoue devant nous que le Seigneur l’a séduit, et mené là où il n’aurait pas voulu aller de lui-même. Car tous autour de lui se moquaient de lui, au point qu’il voulait abandonner son Dieu. Mais ça a été plus fort que lui : la parole de Dieu « était comme un feu brûlant dans [s]on cœur », il s’est laissé envahir à nouveau par son Dieu. Et nous, avec Jérémie, avec Jésus, Paul et le psalmiste, disons tous : « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube : mon âme a soif de toi […] tu seras la louange de mes lèvres ! […] Comme par un festin je serai rassasié […] je crie de joie à l’ombre de tes ailes. » Amen.