Homélie 32e dimanche (12 novembre 2023)

Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le dimanche 12 novembre 2023 (32e dim. du TO A) – Boscodon
(Sg 6,12-16 ; Ps 62,2-8 ; 1 Th 4,13-18 ; Mt 25,1-13)

Si je suis entré dans l’ordre dominicain il y a quarante-cinq, ans c’est en grande partie en raison de ma passion pour la Bible. J’avais appris que saint Dominique portait toujours sur lui l’évangile selon saint Matthieu et les lettres de saint Paul, et qu’il les lisait si souvent qu’il finissait par les savoir par cœur. Et il exhortait ses frères à étudier sans relâche l’Ancien et le Nouveau Testament. Cela explique ma joie devant les lectures de ce dimanche. Mais peut-être ne vous parlent-elles pas autant qu’à moi ? Dans ce cas, permettez-moi de vous les faire goûter.
Commençons par saint Paul, un des plus grands auteurs du Nouveau Testament. C’est si vrai que certains ont vu en lui l’inventeur du christianisme. Non, Paul n’a pas inventé le christianisme, et Jésus pas davantage. Car Jésus n’a pas fondé de religion. Juif habitant au milieu de Juifs, ayant peu franchi les frontières de l’Israël ancien pour de rares incursions en domaine païen, il se présente comme un prophète d’Israël : « un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple », dit Cléopas, l’un des disciples d’Emmaüs (voir Lc 24,19). Il n’était pas marqué sur son front qu’il était le Fils éternel du Dieu vivant ! C’est peu à peu que ses premiers disciples lèveront le voile sur son identité profonde, c’est après sa résurrection et l’envoi de l’Esprit qu’ils trouveront la force et la joie nécessaires pour annoncer au monde la Bonne Nouvelle de Jésus Sauveur.
Paul, lui, n’a pas connu Jésus durant sa vie terrestre. Mais il a fait une rencontre étonnante sur la route de Damas, avec celui qui s’est présenté à lui comme « Jésus, que tu persécutes ». À ce moment, Paul s’appelait encore Shaoul, et ne faisait que « casser du chrétien », au nom de sa foi de pharisien. Il a alors compris que Jésus faisait corps avec ses disciples, qu’il souffrait la persécution avec eux et leur donnait la force de la supporter. Depuis l’événement de Damas, le futur Paul s’est mué en ardent disciple et prédicateur du Christ. Et si l’on a pu croire un instant qu’il avait fondé le christianisme, c’est parce qu’il fut le premier, dans les années 50, à élaborer une réflexion théologique proprement chrétienne. Or, ce matin, nous avons entendu un passage de sa 1e lettre aux Thessaloniciens. Ce n’est peut-être pas la première lettre qu’il ait dictée, mais c’est bien le plus ancien document chrétien que nous ayons gardé.
Cette lettre très précieuse, on la croirait faite pour le mois de novembre. La fête de tous les saints, puis la mémoire des défunts, nous rappelle que notre vie sur cette terre est brève, et qu’un jour, nous connaîtrons la mort. Mais un avenir merveilleux nous attend auprès de Dieu, chanté par le psalmiste : « Dieu, tu es mon Dieu, […] mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau. […] Ton amour vaut mieux que la vie : tu seras la louange de mes lèvres ! […] Comme par un festin je serai rassasié ; […] je crie de joie à l’ombre de tes ailes. »
Saint Paul a bien cru un moment qu’il serait aux premières loges pour assister à la fin de ce monde. Il l’a dit dans le passage que nous avons entendu : « Le Seigneur lui-même descendra du ciel, et ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d’abord. Ensuite, nous les vivants, nous qui sommes encore là, nous serons emportés sur les nuées du ciel, en même temps qu’eux, à la rencontre du Seigneur. » Mais plus tard Paul a compris que la fin du monde n’était pas encore pour demain. Dans sa 2e lettre aux Thessaloniciens, il change de discours et dit : « Si l’on nous attribue une inspiration, une parole ou une lettre prétendant que le jour du Seigneur est arrivé, n’allez pas aussitôt perdre la tête, ne vous laissez pas effrayer. Ne laissez personne vous égarer d’aucune manière » (2 Th 2,2-3).
Ce matin, Jésus nous invite à veiller : tenir sa lampe allumée, c’est rester éveillé dans la foi et l’espérance. Mais cette lampe, il faut la nourrir, l’alimenter. Sans huile, elle ne servira à rien, et nous raterons l’ouverture des portes du Royaume. Alors, soyons prêts à notre tour à entendre ce cri : « Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre ! » Un rabbi de l’Antiquité disait cela avec humour : « Convertis-toi la veille de ta mort ! » Autrement dit, chaque jour, « car vous ne savez ni le jour ni l’heure. » Restons éveillés, debout ; cherchons cette sagesse divine qui « est resplendissante, [… et] se laisse trouver par ceux qui la cherchent, [… qui] devance [nos] désirs en se faisant connaître la première ». Amen.