Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le dimanche 10 octobre 2021− 28e du T.O. (B) – Abbaye de Boscodon
Sg 7,7-11 ; He 4,12-13 ; Mc 10,17-30 – Après la publication du rapport de la CIASE
« Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » La question posée par le riche de cet évangile est une question de croyant. En effet, pour vouloir avoir la vie éternelle en héritage, il faut croire qu’il y a une vie éternelle, et que cette vie éternelle est offerte, proposée par un Dieu plein de bonté aux êtres humains qu’il a créés à son image. Justement, pour leur faire partager sa vie divine. Aujourd’hui, cet évangile résonne peu après la publication du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE). Nous ne pouvons pas nous boucher les oreilles ni nous fermer les yeux : les faits sont là, étalés sous les yeux de tous les hommes, croyants ou non, de notre pays et du monde entier. Ce rapport a causé une immense souffrance et honte dans le cœur du pape François, et de bien des pasteurs dans l’Église.
Certes, ce problème déborde largement au-delà du monde clérical. Mais il fait particulièrement mal dans le cas des prêtres, parce que leur personnage est investi d’un pouvoir sacré et attire le respect moral. Or, il ne faut pas oublier qu’avant d’être des prêtres ce sont des êtres humains. Comme tous leurs congénères ils sont fragiles et faillibles, capables du meilleur mais aussi du pire. Ce matin, je voudrais relire avec vous les Écritures qui nous ont été proposées ; pour voir en quoi elles rejoignent l’actualité ; en quoi elles peuvent nous indiquer une manière de conversion juste et sincère.
« J’ai prié, et le discernement m’a été donné. J’ai supplié, et l’esprit de la Sagesse est venu en moi », avons-nous entendu dans le livre de la Sagesse. Dans la grave crise que traverse notre Église, c’est peu de dire qu’on a manqué de sagesse et de discernement. Et ce n’est pas « l’argent [qui a été] regardé comme de la boue », mais des êtres humains : des enfants et des adolescents, marqués à vie par ce qu’on leur a fait subir. Ils peuvent reprendre le psaume qui a été chanté tout à l’heure, mais s’ils n’en ont pas la force faisons-le en leur nom : « Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ? […] Rends-nous en joies tes jours de châtiment et les années où nous connaissions le malheur. » Sauf que leur châtiment venait des hommes, et plus précisément d’hommes censés agir au nom de Dieu, censés conduire à Dieu, censés donner Dieu par toute leur vie. De là à imaginer que l’institution ecclésiale est une machine à broyer de l’humain et à assouvir les pulsions de ses serviteurs, il n’y a qu’un pas que certains ont déjà franchi. Vous ne vous étonnerez pas que je ne les suive pas. Si nous devons nous taire, faire silence, demander humblement pardon et apprendre l’humilité, nous ne pouvons pas pour autant renoncer à notre raison d’être : annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus ressuscité.
La lettre aux Hébreux attire plus particulièrement notre attention sur le mystère de la Parole de Dieu : elle est pleine de sagesse et de vie, et c’est à son aune que nous serons jugés. Tous les fauteurs de crime ne sortiront pas indemnes de leurs actes condamnables : si Dieu est prêt à pardonner à qui le lui demande humblement, il exige auparavant que l’on reconnaisse en vérité ses torts. La Parole de Dieu traverse nos vies comme une épée acérée à double tranchant : elle nous oblige à faire la vérité. Sur nous et sur les autres. Au nom de notre lien avec Dieu.
Quant à l’évangile de l’homme riche empêtré dans ses richesses, et cependant aimé de Jésus, il peut évoquer ces pervers incapables de renoncer à leurs pulsions, à leur emprise sur les plus fragiles. Jésus nous met en garde contre notre pire ennemi, l’argent. Mais celui-ci agit parfois sous le couvert d’autres appétits – jouissance effrénée, domination sur les plus faibles –, qui confèrent à ceux qui les pratiquent un sentiment de toute-puissance. Or, Dieu seul est le Tout-Puissant, et sa toute-puissance se manifeste au mieux lorsqu’il se montre patient et miséricordieux. Le Seigneur des Armées, comme dit la Bible (c’est le sens du mot Sabaot) est en réalité un Seigneur pleinement désarmé : sa meilleure icône est le Christ en croix du vendredi saint. C’est là que Dieu dit au mieux son amour de notre humanité, un amour qui va jusqu’au bout.
Frères et sœurs, ne rêvons pas : notre humanité reste marquée par le péché. Les guerres mondiales et les génocides du XXe siècle n’ont pas été, hélas, les dernières horreurs commises par des hommes. Nous ne pouvons donc pas écarter le risque de retomber dans les ornières boueuses dénoncées par le rapport. Mais notre espérance est en Dieu, qui peut convertir les cœurs, et nous prépare « un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice » (2 P 3,13). Amen.