Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le dimanche 7 novembre 2021 (32e dim. du T.O., année B) – Boscodon
1 R 17,10-16 ; He 9,24-28 ; Mc 12,38-44 : scribes et veuves
Dimanche dernier, nous avons entendu un dialogue entre un scribe et Jésus à propos du plus grand des commandements. Dans l’ancien Israël, le scribe est non seulement capable de lire et d’écrire, mais aussi bon connaisseur des textes sacrés. Ce qui était frappant dimanche dernier, c’était qu’une rencontre entre Jésus et un scribe se soit passée sans le moindre affrontement. Jésus n’est certes pas un polémiste, mais il n’hésite pas quand il le faut à mettre les points sur les « i ». Or, avec ce scribe, ce n’était pas nécessaire. Jésus a même eu pour lui des mots louangeurs, qui ont réduit au silence les auditeurs : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ! »
Mais aujourd’hui les scribes présentent un tout autre visage, et Jésus nous avertit : « Méfiez-vous des scribes ! » Ne croyons pas qu’il les mette tous dans le même sac, car il est dangereux de procéder par généralisation. Non, mais ce matin il vise une catégorie précise de scribes : ceux « qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations […], les sièges d’honneur […] et les places d’honneur […] ». Autrement dit, les arrivistes et carriéristes, qui aiment et recherchent les honneurs ; qui visent leur promotion, leur bien-être, leur petite gloriole, et qui n’ont souci ni de la gloire de Dieu, ni du service des autres. La preuve en est faite par Jésus, qui ajoute : « Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières. » Tout en trahissant la Loi de Moïse, qui oblige à secourir les veuves, ils jouent aux pieux et se donnent en spectacle. En écho au Rapport Sauvé concernant les abus sexuels commis sur mineurs par des clercs, il est tentant, et légitime, de transposer cette dénonciation de Jésus. Parmi les clercs qui font honte à notre Église, n’y en a-t-il pas qui se sont donnés en spectacle en célébrant avec beaucoup de piété la sainte messe et d’autres sacrements ? Pour eux, la parole sévère de Jésus à l’intention des mauvais scribes demeure valable : « Ils seront d’autant plus sévèrement jugés. » Car, selon la loi de l’évangile, plus on a reçu, plus on doit rendre des comptes.
Mais Jésus ne cherche pas à condamner qui que ce soit, pas même le plus grand des pécheurs. Il est venu de la part de Dieu, pour rappeler à tous que notre Père veut pour nous la vie, et donc d’abord la guérison, la sanctification, le pardon des péchés. Aucun être humain ne peut empêcher la miséricorde de Dieu d’aller jusqu’au bout, de pardonner ses péchés à une personne qui les reconnaîtrait sincèrement et en éprouverait le regret. Mais cela, c’est l’affaire de Dieu. Nous autres, nous devons apprendre petit à petit à mieux vivre en société, à avoir davantage le souci et le soin des autres, en particulier des plus fragiles. Les occasions de le faire ne manquent pas.
En fait, la seule pratique religieuse qui compte pour Jésus, c’est celle du double commandement rappelé dimanche dernier : se donner totalement par amour à ce Dieu qui nous aime totalement, qui en donnant son Fils nous a donné son TOUT. Dans l’évangile de ce jour, alors que les riches donnent des fortunes sans se ruiner, car « ils ont pris sur leur superflu », la veuve dépose deux piécettes : vraiment, pas grand-chose. Mais avec ce « trois fois rien » elle a donné TOUT ce qu’elle avait pour vivre. Saint Marc emploie ici l’adjectif grec holos (TOUT) qui, dans l’évangile de dimanche dernier, servait à exprimer comment aimer Dieu : l’aimer de TOUT son cœur, de TOUTE son âme, de TOUT son esprit et de TOUTE sa force. De même que la veuve de Sarepta avait nourri Élie avant de s’occuper d’elle et de son fils, celle de l’évangile jette ses piécettes dans le tronc du Temple en s’en remettant à la Providence pour le reste de sa vie. Selon la loi paradoxale de l’évangile, elle joue à QUI PERD GAGNE ! Mais, cela, elle ignore qu’elle le fait face à des gens malintentionnés, ces scribes qui « dévorent les biens des veuves » ! Se pourrait-il alors que l’argent mis dans les troncs du Trésor soit détourné par les scribes responsables du Trésor, qui fonctionnait un peu comme une banque de dépôt ? Les piécettes de la veuve ne vont-ils pas alors finir dans la poche de clercs criminels ? Certains commentateurs estiment cela vraisemblable. Dans ce cas, Jésus ne donnerait pas cette veuve en exemple, mais la plaindrait plutôt car elle va être grugée par des malfrats qui agissent au nom de Dieu et de la religion. La leçon porte fort en notre temps.
Quoi qu’il en soit de la pertinence de cette lecture inhabituelle, acceptons l’invitation de Jésus à prendre le chemin risqué du DON TOTAL de nous-mêmes, pour l’amour de Dieu. C’est celui que Jésus lui-même a emprunté, nous disait la lettre aux Hébreux : Le Christ s’est offert une seule fois pour enlever les péchés… (He 9,28). Amen.