Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 3e dimanche d’Avent (12 décembre 2021) – Boscodon
So 3,14-18 ; Ph 4,4-7 ; Luc 3,10-18 (Gaudete ! Réjouissez-vous !)
La liturgie de ce dimanche d’avent nous adresse un double message : le prophète Sophonie et l’apôtre Paul nous invitent de façon pressante à la joie, et dans l’évangile Jean-Baptiste nous donne des recommandations pour nous aider à préparer le chemin du Seigneur.
Ces deux thèmes ne semblent pas avoir grand-chose en commun, et semblent même inconciliables. En effet, comment pourrait-on se laisser aller à la joie, si on doit faire effort pour améliorer sa route ? L’Écriture ferait-elle l’éloge de l’effort qui coûte ? D’une certaine façon, oui. Certes, la grâce du salut est totalement gratuite, c’est un don de Dieu, ce Dieu Vivant qui nous sauve entièrement. Mais, ce don gracieux, nous avons à l’accueillir. Et le simple fait de l’accueillir en profondeur dans notre vie est une attitude qui coûte, car elle exige de nous une vraie conversion. Elle peut même nous valoir une mort brutale et violente. Ainsi, pour le théologien protestant Dietrich Bonhoeffer, pendu par les nazis au camp de Flossenbürg – un camp que j’ai visité il y a quelques années, car mon grand-oncle curé dans le Champsaur y est passé lui aussi –, la grâce que Dieu nous offre est bien une « grâce qui coûte ». Notez toute la force de cette formule sous la plume d’un protestant, des gens dont on dit facilement qu’ils insistent tellement sur le don gratuit de la grâce divine qu’elle ne peut rien coûter à l’être humain qui la reçoit. Elle est totalement gratuite, imprévisible et presque arbitraire : pourquoi lui, et pourquoi pas moi ? Mais c’est bien là une caricature de la position protestante.
En ce temps d’avent, l’insistance de la liturgie sur l’aspect pénible de la conversion peut aussi nous paraître déplacée, car elle correspond plutôt au carême, où l’Église nous invite à prendre au sérieux le salut proposé en Jésus Christ, salut qui passe par la croix, et donc par un chemin de souffrance.
De fait, l’avent – et tout spécialement ce 3e dimanche appelé en latin Gaudete, « Réjouissez-vous ! » – nous invite avant tout à la joie. Le message de Sophonie et de Paul doit l’emporter : Pousse des cris de joie, éclate en ovations, réjouis-toi, tressaille d’allégresse ! Le Seigneur est en toi, ne crains pas ! Soyez toujours dans la joie du Seigneur, soyez dans la joie ! Le prophète et l’apôtre accumulent les termes et les expressions pour nous inciter à la joie. D’où vient cette joie à laquelle nous sommes appelés, qui nous est réservée ? De Dieu lui-même. C’est pourquoi le prophète a l’audace d’ajouter encore : Le Seigneur ton Dieu est en toi, il t’apporte le salut, il aura en toi sa joie et son allégresse, il dansera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête.
Le Dieu que les gens imaginent spontanément est bien souvent ennuyeux, ennuyant. Un véritable empêcheur de rire et de danser en rond ! Dans son fameux roman Le nom de la Rose, Umberto Eco montre une abbaye bénédictine médiévale secouée par beaucoup de drames. [Jean-Jacques Annaud en a fait un film à grand succès, et il a choisi comme décor l’abbaye Sacra Michele, un monastère perché dans la montagne entre Briançon et Turin, une sorte de Mont-Saint-Michel des Alpes, qui fut pendant un bon moment l’abbaye-mère de la communauté de Boscodon, après l’extinction de l’ordre de Chalais.] À la base des événements terribles et des morts tragiques ayant agité ce monastère, il y avait la conviction d’un vieux moine, Jorge, un pseudo-sage pour qui le rire est d’origine diabolique. Et la preuve qu’il en est ainsi, dit-il, c’est que le Seigneur dans les évangiles n’a jamais ri. Mais, si notre brave moine avait mieux lu l’Écriture, les prophètes, saint Paul et les évangiles, il aurait vu que la Révélation chrétienne est traversée par un grand cri de joie, et que Sophonie va même jusqu’à faire danser de joie notre Dieu ! Comme quoi un saint triste est un triste saint !
Croyons-le, la vraie joie, profonde, inébranlable malgré les difficultés de la vie, cette joie est le propre du Dieu des chrétiens, et devrait être notre caractéristique. Le pape François nous l’a rappelé par son encyclique La joie de l’Évangile ! Si donc nous nous laissons envahir par la joie de Dieu qui se réjouit de nous sauver, de nous donner la vie en nous donnant son Fils, alors nous pourrons vivre en bonne intelligence avec les autres, dans la justice et la paix, comme saint Jean-Baptiste et saint Paul nous y ont invité. Alors, les moindres événements de notre vie quotidienne prendront une autre allure, car ils seront habités de l’intérieur par la joie. Demandons les uns pour les autres ce beau cadeau de Noël que Dieu veut nous faire : le don de la joie ! Amen.