Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 3 avril 2022 (5e dimanche de Carême, C) – Abbaye de Boscodon
Is 43,16-21 ; Ph 3,8-14 ; Jn 8,1-11 (la femme adultère)
D’après la Loi de Moïse, donc, cette femme adultère devait être lapidée. Tuée à coup de pierres, déchiquetée, écrasée par les pierres que lui lanceraient tous les hommes présents. Une mort atroce, ignoble, où chacun apporte sa pierre − c’est le cas de le dire −, avec une conscience tranquille, car il obéit à la Loi, mais sans toucher directement la suppliciée, sans se souiller par le contact avec sa chair impure. Hélas, il y a encore des pays où on lapide les femmes adultères, où on coupe la main aux voleurs, où on crève les yeux aux voyeurs et autres impurs ; et tout cela au nom de Dieu ! En quoi, alors, cette page d’évangile peut-elle nous donner la vie ? Regardons-la de plus près.
Prise en flagrant délit, la femme est poussée au milieu par les scribes et les pharisiens. Quelle pauvresse ! Bien sûr, c’est une pécheresse : elle a commis un adultère. Mais, enfin, quand on songe au sort qui l’attend, il y a de quoi être effrayé et avoir pitié d’elle. Or, devant elle, que fait Jésus ? que dit-il ? Il commence par laisser traîner les choses. Il se met à tracer des traits sur le sol. De très nombreux commentateurs et prédicateurs ont cherché à deviner ce qu’il avait bien pu écrire, en une heure si tragique. Fausse piste, car cela n’intéresse pas l’évangéliste ; sinon, il nous l’aurait dit.
La seule chose que nous sachions, c’est que Jésus ne répond pas tout de suite. Or, les bons élèves ont toujours tendance à répondre sur-le-champ, sans délai. Ils ont la bonne réponse sur le bout de la langue, elle leur brûle les lèvres, il faut qu’ils la disent. De plus, nos sociétés de consommation et de jeux télévisés nous poussent à répondre très vite, tout de suite, afin de gagner ; sinon, un autre parle à votre place, et empoche la récompense. De la même façon, quand les journalistes vous assaillent, ils vous posent mille questions à la fois, tout en donnant déjà la réponse qu’ils veulent entendre.
Nous sommes dans un monde fou qui veut des réponses à tout et tout de suite. C’est peut-être pour cela que la foi chrétienne ne fait plus trop recette. Je suis bien persuadé que la foi au Christ est l’avenir de l’humanité ; mais il faut admettre que d’autres religions, des pratiques ésotériques ou magiques, attirent davantage nos contemporains pressés, qui veulent la réponse tout de suite. Or, notre Dieu est un Dieu patient. Infiniment patient. Il est la patience en personne. Comme un bon jardinier, il sait qu’on ne fait pas pousser plus vite les plantes en leur tirant dessus. Il prend son temps.
Devant la femme, Jésus prend son temps, il mûrit sa réponse. Puis, comme on insiste pour qu’il se prononce, il se redresse, et s’adresse à ceux qui l’avaient interpellé. Mais que leur dit-il ? Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre ! Quelle audace, quelle insolence : oser nous comparer à cette femme, nous les gens bien ! Jésus se trompe de procès, aujourd’hui : il s’agit de cette femme, pas de nous. Nous, nous sommes là pour assister à sa mort, pour y participer même, selon le rituel décrit dans la sainte Écriture, donc voulu par Dieu.
Cependant, on dirait que l’impertinence de Jésus a fait mouche : en effet, les accusateurs de la femme vont se retirer discrètement, un à un, sur la pointe des pieds. En commençant par les plus vieux, parce que, en visualisant mentalement leur longue vie, ils voient qu’ils étaient eux aussi des pécheurs, des gens qui ont trafiqué la parole de Dieu, qui se sont arrangés avec elle pour pouvoir continuer leurs petites affaires un peu louches. Ainsi, ils s’esquivent, et du coup Jésus a réussi, non seulement à sauver cette femme, mais encore à les sauver eux-mêmes. Il va dire à la femme : Moi non plus, je ne te condamne pas ; va, et désormais ne pèche plus. Mais ce qu’il a dit à ses accusateurs n’était pas davantage une parole de condamnation. Il est venu pour guérir chacun, chacune de nous, de l’enfermement de son péché. Ce qu’il leur a dit, c’était une parole de vie, donnée pour éclairer leur vie à la lumière du pardon de Dieu. Comme s’il leur avait dit : Moi non plus je ne vous condamne pas. Retournez chez vous, retournez-vous, convertissez-vous, et cessez de pécher en accusant les autres et en jouant les petits saints.
Mais, dans cette page d’évangile, il manque un personnage : l’homme avec lequel la femme a commis l’adultère, car un adultère, cela se commet à deux. Où est-il ce cher monsieur ? Il a fui, tout bêtement.
Nous sommes tour à tour les différents personnages de cette histoire. Nous sommes la femme pécheresse prise au piège, et les accusateurs sûrs de leur bon droit et prêts à exécuter leur prochain au nom de Dieu ; nous sommes aussi cet homme adultère qui s’est enfui comme un lâche. Or, Jésus nous dit que Dieu ne désespère jamais de nous. Il veut nous guérir, nous relever, et nous donner sa vie. Rappelons-nous ses mots transmis par le prophète Ézéchiel (Ez 18,32 ; voir aussi 18,23 ; 33,11) : « Je ne prends plaisir à la mort de personne : convertissez-vous, et vous vivrez ! » Amen.