Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 5 juin 2022 (fête de la Pentecôte, C) – Abbaye de Boscodon
Ac 2,1-11 ; Rm 8,8-17 ; Jn 14,15-16.23-26
En ce jour de la Pentecôte, point final du temps pascal, nous célébrons le don du Saint Esprit que Dieu a fait son Église, et par cette Église au monde entier. J’aime évoquer cette phrase du Père Jean Vernette, spécialiste des sectes et mouvements religieux marginaux : « L’Esprit Saint a élu domicile dans l’Église, mais il n’y est pas assigné à résidence ! » Au-delà du bon mot qui fait sourire, il y a beaucoup de vrai dans ce propos. De même que Moïse avait reçu de Dieu la Torah pour la communiquer à Israël, et par lui à toute l’humanité, de même nous les chrétiens nous recevons le Saint Esprit, non seulement pour nous-mêmes ou pour la sanctification de notre communauté ecclésiale, mais encore pour le salut du monde entier. C’est ce que disait déjà, peu avant l’ère chrétienne, le livre de la Sagesse : « L’Esprit du Seigneur remplit l’univers : lui qui tient ensemble tous les êtres, il entend toutes les voix » (Sg 1,7). Depuis le début de son pontificat, le pape François exhorte les baptisés à devenir disciples missionnaires, à sortir du sérail de l’Église pour aller aux périphéries, et annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus ressuscité au monde entier. Aujourd’hui, l’Esprit Saint nous est donné afin de nous confirmer dans notre vocation.
À côté des lectures de ce dimanche, mais juste derrière elles, je vous invite à regarder trois figures bibliques saisies par l’Esprit de Dieu : Moïse, Joël et Élisabeth. Par l’entremise de Moïse, Dieu avait choisi soixante-dix anciens pour diriger le peuple, et il leur a donné une part de son Esprit qui reposait sur Moïse. Or, deux d’entre eux avaient prophétisé alors qu’ils étaient loin des soixante-huit autres. Josué demande à Moïse de les en empêcher, mais il s’entend répondre (Nb 11,29) : « Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! Si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux ! »
Ce rêve de Moïse, le prophète Joël va en annoncer la réalisation. Le récit de la Pentecôte se trouve au ch. 2 des Actes des Apôtres ; or, juste après, Pierre explique ce qui vient de se passer en citant le prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur tout être de chair, vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens seront instruits par des songes, et vos jeunes gens par des visions. Même sur les serviteurs et sur les servantes je répandrai mon esprit en ces jours-là » (Jl 3,1-2 ; Ac 2,17-18).
Entre le désir de Moïse et cette prédication de Pierre, saint Luc donne dans son Évangile quelques exemples de personnes saisies par l’Esprit, en vue d’une mission précise. Parmi elles se trouve Élisabeth, la mère de Jean-Baptiste, à qui Marie a rendu visite mardi dernier, en la fête de la Visitation (Lc 1,41-42) : « Quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : ‟Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni !” » Le même Luc vient de dire la même chose au sujet de nos premiers frères et sœurs de Jérusalem : « Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit » (Ac 2,4). Comme Jésus l’avait promis, le Père nous donne un autre Défenseur qui sera pour toujours avec nous (cf. Jn 14,16).
Ce matin, c’est à Paul que revient l’honneur de révéler ce que l’Esprit fait dans nos vies : « Vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions ‟Abba !”, c’est-à-dire : Père ! […] L’Esprit Saint lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu » (Rm 8,15-16). Cette semaine j’ai revu ma vieille cousine Élisabeth, une étonnante moniale de 95 ans : elle m’a suggéré que les sept dons du Saint-Esprit – sagesse et intelligence, force et science, conseil, piété et crainte du Seigneur – sont autant de manières de donner chair à notre cri « Abba ! Père ! » Alors, que l’Esprit nous envahisse et nous transforme ! Nous n’aurons jamais fini d’explorer notre vocation d’enfants de Dieu, et notre bonheur éternel sera de nous en émerveiller en rendant grâce à notre Père, par son Fils, dans l’Esprit. Amen.