Homélie 15ème dimanche (11 juillet 2021)

Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le dimanche 11 juillet 2021 − 15e du T.O. (B) – Abbaye de Boscodon

Am 7,12-15 ; Ep 1,3-14 ; Mc 6,7-13

Que faisons-nous sur terre ? Pourquoi sommes-nous ici ? Il me paraît difficile d’imaginer qu’un seul être humain ne se soit jamais posé ce genre de questions. Car c’est là justement ce qui nous différencie des autres animaux et êtres vivants. En revanche, il existe probablement des personnes qui évacuent très vite la question, et dont le seul souci est de profiter de la vie au quotidien, tant qu’il y en a en eux, autour d’eux, tant que cette vieille planète voudra bien nous supporter. Mais vous, frères et sœurs, si vous êtes venus ce matin à l’abbaye de Boscodon, c’est que vous ne vous contentez pas de vivre ainsi, le nez dans le guidon, sans vous émerveiller ni vous poser de questions.

Les lectures de ce dimanche nous parlent toutes, de façon différente, de notre vocation humaine et de certaines vocations particulières. Amos n’a jamais été un professionnel du prophétisme. Il faut dire qu’à son époque, le viiie siècle avant notre ère, il y avait une caste de prophètes officiels, comme il y avait un clergé, tous ces gens au service d’un dieu, le Dieu d’Israël par exemple (mais pas forcément), mais aussi au service d’une cour royale. Amos ne fait pas partie de ces gens-là, et c’est pourquoi le prêtre Amazias le chasse et l’invite à rentrer chez lui, car il dérange le petit jeu tranquille du royaume d’Israël, avec ses très riches et ses très pauvres. Or, Amos a eu le tort de condamner les graves distorsions sociales qui défiguraient ce royaume. Il avait crié : « Ils vendent le juste pour de l’argent, le malheureux pour une paire de sandales. Ils écrasent la tête des faibles dans la poussière, aux humbles ils ferment la route » (Am 2,6-7) ; « je connais vos nombreux crimes, vos énormes péchés, oppresseurs du juste, preneurs de pots-de-vin ; au tribunal les malheureux sont écartés » (Am 5,12) ; « couchés sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs divans, ils mangent les agneaux du troupeau, les veaux les plus tendres de l’étable ; [] ils se frottent avec des parfums de luxe, mais ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël » (Am 6,4-6) ! Amos n’était pas un prophète de bureau, autrefois il était bouvier et s’occupait d’une plantation de sycomores ; mais le Seigneur l’a choisi pour être son porte-parole, un prophète d’un nouveau genre. De sa Judée natale il l’envoie dans le royaume du nord, pour dénoncer en son nom les crimes commis par les apparatchiks de la cour et de la religion.

Dans sa propre mission, Jésus a parfois été perçu comme un prophète, envoyé par le Père pour appeler à la conversion. Mais il a aussi, et surtout, rencontré des blessés de la vie, pour leur apporter la guérison. Et c’est cette même mission qu’il confie à ses disciples : « Il leur donnait autorité sur les esprits impurs […] Ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient. » Avant même le rachat de cette abbatiale, qui était devenue une ferme après la Révolution, l’évêque de Gap Mgr Coffy encourageait les refondateurs de Boscodon à en faire un lieu de paix et d’espérance ; et son successeur Mgr Malle ne dit pas autre chose. Mettre en valeur la beauté sobre de cette abbatiale, ce n’est pas seulement contribuer à épurer notre vision de l’art et de la culture, pour leur redonner une authentique simplicité : c’est aussi, et surtout, inviter les personnes qui y passent à s’y sentir à l’aise, à y déposer leur fardeau, à y trouver ou retrouver le contact avec le Seigneur. Personne parmi nous n’est propriétaire exclusif de l’Évangile, celui-ci ne se décline qu’au pluriel ; et c’est pourquoi Jésus envoie ses disciples deux par deux, comme plus tard saint Dominique avec ses frères. Ensemble, nous sommes appelés à témoigner discrètement de la vie du Ressuscité, à annoncer sa Bonne Nouvelle à tous les hommes.

Telle était déjà, en son temps, la conviction d’un saint Paul. Nous avons entendu le début de la lettre aux Éphésiens, qui est de lui ou d’un de ses disciples. Dans un grand élan poétique, à la manière d’un peintre visionnaire qui veut nous faire palper l’ineffable, Paul nous dit à quoi et par qui nous sommes tous appelés : c’est par amour que Dieu le Père « nous a bénis et […] choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, […] prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ. » Le baptême nous a donné d’entrer dans la famille de Dieu, et la porte reste ouverte à celles et ceux qui ne connaissent pas encore Jésus. Vous donc, qui écoutez l’Évangile pour la première ou la n-ième fois, vous qui pensez le connaître par cœur alors qu’il est toujours neuf, aujourd’hui le Seigneur s’adresse à vous : il vous invite à croire à sa Bonne Nouvelle, à franchir un pas de plus, et à vivre de sa vie. Dans l’amour fraternel et le respect mutuel, avec la conscience d’être tous « disciples-missionnaires », comme dit le pape François. Vivez dès maintenant de la vie de Dieu, en attendant le plein épanouissement de votre vocation humaine dans le Royaume de Dieu.