Homélie 4e dimanche Pâques (8 mai 2022)

Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 8 mai 2022 (4e dimanche de Pâques, C) – Abbaye de Boscodon
Ac 13,14…-52 ; Ap 7,9…17 ; Jn 10,27-30 (le bon Pasteur)

« Une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, de toutes nations, tribus, peuples et langues. » Ma mère m’a un jour demandé comment nous ferions, au Ciel, pour nous reconnaître les uns les autres, si nous sommes si nombreux ! Et nous serons des myriades de myriades, des millions, des milliards ! Malgré ce nombre, nous n’aurons pas besoin de badge comme dans les colloques, pour indiquer notre nom et notre situation professionnelle. Le Bon pasteur connaît ses brebis par cœur, et les appelle chacune par son nom, comme il le fit pour Marie-Madeleine au matin de Pâques (cf. Jn 20,16). Mais, dans le Royaume de son Père, il nous fera partager son privilège de la connaissance directe : nous aussi connaîtrons Dieu comme nous sommes connus de lui (cf. 1 Co 13,12), et en outre nous nous reconnaîtrons aussi les uns les autres. Et tous ensemble, vêtus de robes blanches – et pas seulement les dominicains ! –, des palmes à la main, nous chanterons les louanges incessantes du Dieu vivant.
Figurez-vous que nous ne serons jamais lassés de chanter, jamais lassés de tenir nos palmes à la main, jamais rassasiés jusqu’à plus soif du visage de Dieu : nous irons de bonheur en bonheur, d’émerveillement en émerveillement, et notre découverte du mystère de l’amour de Dieu ne pourra qu’aller en s’amplifiant. N’imaginez pas que « l’éternité, c’est long, surtout vers la fin », comme disait Woody Allen – qui n’est pas un Père de l’Église, mais tout de même un grand cinéaste ! Notre éternité nous fera entrer dans le mystère de l’éternité de Dieu, qui est en réalité une perpétuelle jeunesse, tout le contraire d’un « arrêt sur image » ! Il y aura de la musique pour ceux qui aiment chanter, danser et jouer d’un instrument, avec les anges comme maîtres ; il y aura des tables regorgeant de bonnes viandes et de vins capiteux, pour ceux qui font d’Isaïe leur livre de chevet (cf. Is 25,6) ; il y aura des couleurs chatoyantes pour réjouir même les daltoniens, des parfums délicieux qui nous rappelleront le Cantique des Cantiques, des paroles ineffables comme celles qu’entendit saint Paul sans pouvoir les communiquer car c’était « top secret » (2 Co 12,4)… Une joie dont nous n’avons pas idée s’emparera de nous. Comme le dit l’évangile (Mt 25,20.23), et à sa suite saint Augustin, cette joie sera si vaste qu’elle ne pourra pas habiter notre cœur, mais c’est nous-mêmes qui entrerons en elle…
La foule immense de l’Apocalypse, ce sont les cent-quarante-quatre mille élus du peuple de Dieu : tous, juifs et païens rassemblés en un seul peuple nouveau, réconcilié, guéri. Rassemblés autour de leur Pasteur, qui est lui-même un Agneau ! Saint Paul a fait l’expérience du rejet par des membres de son peuple ; mais il y a vu l’occasion inespérée, providentielle, de se tourner vers les païens : « C’est à vous d’abord qu’il était nécessaire d’adresser la parole de Dieu. […] Nous nous tournons vers les nations païennes selon le commandement du Seigneur : ‟J’ai fait de toi la lumière des nations pour que, grâce à toi, le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre.” » Le salut est offert gracieusement par Jésus à toutes et à tous, quelle que soit notre origine et notre situation sociale.
Lui-même, il est l’Agneau sans tache, dont le sang lave plus blanc que toutes nos lessives, puisque les élus, « vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main, […] ont lavé leurs robes, et les ont blanchies dans le sang de l’Agneau ». Mais cet Agneau est aussi un Pasteur, qui nous mène, non par le bout du nez comme un manipulateur, mais avec le bâton de sa parole, qui trace un chemin, écarte les obstacles, protège contre l’ennemi… Suivons-le, écoutons sa voix dès maintenant, entrons à sa suite dans LA « grande épreuve » de sa Pâque. Plongeons avec lui dans les eaux de la mort, comme lors du baptême, pour en ressortir renouvelés, ressuscités ! Cela s’accomplira dans le Royaume à venir ; mais dès à présent nous pouvons vivre en ressuscités. Car c’est cela, être chrétien, et rien d’autre : vivre en ressuscité, le visage radieux de la joie du Seigneur qui nous aime, car « Dieu essuiera toute larme de nos yeux » ! Amen, Alléluia !