Homélie 1er dimanche Avent (27 novembre 2022)

Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 27 novembre 2022 (1er dimanche Avent, A) – Abbaye de Boscodon
Is 2,1-5 ; Rm 13,11-14a ; Mt 24,37-44

Hier soir nous sommes entrés dans une nouvelle année liturgique, et cette année sera placée sous le patronage de l’évangéliste saint Matthieu. Nous autres chrétiens, nous devrions oser nous souhaiter la bonne année en ce premier dimanche d’Avent. Mais nous savons bien que le monde actuel n’est plus imprégné par la culture chrétienne. Et, si certains, comme vous, vont le dimanche à l’église, ils le font fort heureusement par choix libre, et non sous la contrainte d’une tradition sociologique. Nous sommes là, vous êtes là parce que vous aimez le Seigneur, que vous éprouvez de la joie à croire en lui et à venir le célébrer.
Or, la joie chrétienne se manifeste d’une manière spéciale durant l’Avent. Bien sûr, ce temps garde une atmosphère d’inachevé puisqu’il nous prépare à la fête de Noël. Le temps de l’Avent est, par définition, un temps d’attente. Nous attendons un « heureux événement », comme on disait autrefois. Et, dans quatre semaines exactement, le 25 décembre, nous célébrerons la naissance de Jésus, notre Sauveur. Voilà le sens de notre Avent annuel : préparer notre cœur à vivre à nouveau cette grande joie de la naissance du Christ.
Dans le fameux ouvrage de Saint-Exupéry Le Petit Prince, le renard explique au Petit Prince que, pour bien vivre une rencontre, il faut se préparer le cœur en se réjouissant à l’avance : « Si tu viens, par exemple, à quatre heures de l’après-midi, dès trois heures je commencerai d’être heureux. Plus l’heure avancera, plus je me sentirai heureux. À quatre heures, déjà, je m’agiterai et m’inquiéterai ; je découvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens n’importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m’habiller le cœur… Il faut des rites. – Qu’est-ce qu’un rite ? dit le petit prince. – C’est aussi quelque chose de trop oublié, dit le renard. C’est ce qui fait qu’un jour est différent des autres jours, une heure, des autres heures. » (Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince.)
Le temps liturgique de l’Avent est un de ces rites qui structurent notre vie et nous habillent le cœur, mais avec Dieu ! Un temps différent, spécifique. Car nous attendons Dieu, mais en réalité Dieu est déjà là et c’est lui qui nous attend. Et notre Petit Prince, à nous, c’est le Christ. Sa venue est la réponse à l’attente d’Israël pendant de longs siècles, ce que chantait un Noël traditionnel : « Depuis plus de quatre mille ans nous le promettaient les prophètes ! » Israël attendait un libérateur, une délivrance, un salut, et voilà que Dieu envoie son Fils, son Verbe, sa Parole : Oui, la loi sortira de Sion, et de Jérusalem la parole du Seigneur, disait tout à l’heure Isaïe. En effet, si Noël évoque pour nous Bethléem, c’est sur la colline du Golgotha à Jérusalem que notre salut va pleinement s’épanouir. Et c’est encore à Jérusalem que les apôtres recevront l’Esprit Saint, pour annoncer la résurrection de Jésus. Car l’Avent nous ouvre l’année liturgique, mais celle-ci trouve son point culminant dans la joie de Pâques. Et chaque fois que nous célébrons l’eucharistie, c’est la joie de Pâques qui nous rejoint. La joie de l’Avent et de Noël n’est qu’une première étape vers la plénitude de joie qui se déverse à Pâques. Et Jésus affirme que la joie qu’il nous donnera ne pourra pas nous être enlevée.
Pendant l’Avent, l’Église a coutume de lire souvent le prophète Isaïe. Nous venons de le faire, et ce n’est pas pour rien qu’Isaïe a parfois été appelé « le cinquième Évangile ». Son livre annonce la paix que le Seigneur apportera : « Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre. » Hélas ! il n’y a pas besoin d’être prophète ou grand politologue pour constater que cet oracle n’est pas encore réalisé, et que notre terre continue à subir les ravages de la guerre. Ce sont encore les armes de guerre qui dominent, toujours plus sophistiquées et plus destructrices. Mais saint Paul nous invite à nous sortir de notre torpeur, de notre sommeil hébété, et à nous emparer des armes de lumière. N’attendons pas que tous s’y mettent : faisons les premiers pas, humblement, petitement, pour que la paix de Dieu descende sur terre. Entendons ce que Jésus dit aujourd’hui dans l’évangile : Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur vient […] Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. Dieu est toujours au-delà du prévisible, comme une surprise. Alors, frères et sœurs, tenons bon, et gardons notre cœur en éveil dans la joie, car le Seigneur vient comme un voleur ! Amen.