Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 2e dim. d’Avent, année B (10.12.2023) – Abbaye de Boscodon
Is 40,1-5.9-11 ; 2 P 3,8-14 ; Mc 1,1-8
« Commencement de l’Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu. » Ça commence bien ! Eh oui ! c’est ainsi que s’ouvre le deuxième livret évangélique, celui de saint Marc. Mais que ce titre ne nous trompe pas : l’auteur ne voulait pas dire qu’il commençait ici un livre qui serait appelé « évangile ». Il faut attendre la moitié du deuxième siècle pour que le mot « évangile » désigne un livre consacré aux faits et gestes de Jésus, ainsi qu’à ses enseignements, sa vie, sa mort et sa résurrection. À l’époque de l’évangéliste, « évangile » désignait une proclamation orale. Et vous savez que ce mot signifie « bonne nouvelle », « heureuse annonce ». Tiré du langage profane, concernant en particulier la vie de l’empereur romain et le succès de ses armées, le mot « évangile », et surtout le verbe « annoncer une bonne nouvelle » (« évangéliser »), a été emprunté par le traducteur grec du livre d’Isaïe, afin de désigner la proclamation du salut offert par le Dieu unique, le Roi d’Israël.
Et c’est ce que nous avons entendu en première lecture, avec ce passage du prophète Isaïe : « Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Élève la voix, ne crains pas. Dis aux villes de Juda : ‟Voici votre Dieu !” » Ce Dieu, dont la venue doit nous réjouir, se présente comme un berger attentif à son troupeau. Nous savons que Jésus se reconnaîtra volontiers dans cette figure du Bon Pasteur. Voilà la bonne nouvelle que nous recevons en ce temps de l’Avent.
Mais ce n’est pas tout. Le titre de l’évangile de Marc ne présente pas seulement la venue de Jésus comme « évangile ». Il inclut dans cette bonne nouvelle la mission spécifique de Jean-Baptiste : proclamer « un baptême de conversion pour le pardon des péchés ». Et Marc fait davantage encore, puisqu’il remonte plus haut dans le temps. En effet, son « évangile » commence avec une citation d’Isaïe (Is 40,3) : « Il est écrit dans Isaïe, le prophète : ‟Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour ouvrir ton chemin. Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.” » Ce messager qui vient avant Jésus, cette voix qui crie dans le désert, c’est bien sûr Jean-Baptiste.
La bonne nouvelle commence donc avec Isaïe. Mais, en réalité, la citation d’Écriture que donne saint Marc ne provient pas seulement du livre d’Isaïe : elle contient aussi un verset du prophète Malachie – « Voici que j’envoie mon messager en avant de toi pour préparer ton chemin » (Ml 3,1) – combiné avec un autre tiré du livre de l’Exode – « pour te garder en chemin » (Ex 23,20). Autrement dit : c’est toute l’Écriture qui est convoquée ce matin pour nous préparer à accueillir la prédication de Jean-Baptiste et la venue de Jésus. Notre « évangile » commence donc très tôt dans le temps, il est en fait composé d’une succession de commencements : l’Exode, Isaïe (le plus grand prophète biblique), Malachie ; puis Jean-Baptiste et enfin Jésus.
Mais nous-mêmes, qui nous réclamons de Jésus, qui portons le beau nom de chrétiens, c’est-à-dire d’adeptes ou d’amis du Christ, nous sommes nous aussi invités à entrer dans ce vaste mouvement de commencements incessants. La liturgie nous y aide, puisque chaque année elle remet les pendules à l’heure et nous propose de recommencer le chemin de la foi, comme si c’était la première fois.
Comme si c’était la première fois ? Et pourtant, ne croyons pas que chaque année nous répétons inlassablement les mêmes textes bibliques, les mêmes prières, les mêmes cantiques, sans que cela ne change rien de notre vie. La vie, c’est tout le contraire du statisme ! La vie n’est sans doute pas un long fleuve tranquille, mais c’est bel et bien un fleuve, un courant, une dynamique. Chaque matin, après le sommeil de la nuit qui est comme une petite mort quotidienne, nous renaissons à la vie, nous recommençons. Et il en sera ainsi jusqu’à notre dernier soupir. C’est pourquoi, quel que soit le chemin parcouru jusqu’à ce jour, nous pouvons reprendre espoir et confiance. Dieu nous appelle, Dieu nous attend toujours plus loin. Un Père de l’Église du ive siècle, saint Grégoire de Nysse, disait que, dans la vie chrétienne, on va « de commencement en commencement, par des commencements qui n’ont pas de fin ». Telle est la démarche que nous propose l’Église, en ce début d’année liturgique. Je vous le souhaite alors, avec les deux orthographes possibles : « En avant, et bon Avent ! » Amen.